(Article écrit par Roland Fichet, publié dans Prospero N°5, Traces, Juillet 1995, au sujet de « Les Charmilles » de Jean-Michel Rabeux, mis en scène par l'auteur à La rose des vents, scène nationale de Villeneuve-d'Ascq en décembre 1994.)
Le monde est cru. L'homme est cruel. Il faut que ce soit cru.
Partout du physique et au-delà du physique qu'y a-t-il à voir, à sentir, à ressentir ? Le corps toujours laisse échapper autre chose que ce qu'on attend de lui. Les mots convenus masquent bien ce quelque chose qui échappe (et mène loin dans la cruauté et dans l'amour).
L'exercice quotidien de la cruauté.
Le cirque quotidien de la cruauté : la cruauté ordinaire qui nous fait bouffer à longueur de journée veaux, vaches, cochons et les petits lapins, poules et poulets.
Il y a de la viande partout.
Corps et viande. Métaphysique et physique. L'ombre de Francis Bacon.
Jouer avec le corps. Avec une délicatesse infinie le montrer. Le montrer nu.
L'exposer nu.
Offrir aux yeux des spectateurs quelques jeux qui ne sont pas innocents, quelques expériences, des expériences de cirque par exemple, des corps coupés en deux (ça nous fait jubiler, c'est épatant !).
Côte à côte : le gigot, la jambe fraîchement coupée, le clown nu, le désir amoureux d'une jeune cul-de-jatte, le porc pendu dans la buanderie, la chirurgie...
Jean-Michel Rabeux fait calmement sur un plateau de théâtre l'inventaire des mutilations ordinaires, froidement.
Ses tableaux sont nets, sans concession ni exhibitionnisme.
Ça impressionne.
Ça fait mal et sourire.
Des acteurs dignes et élégants. Des femmes. Des hommes.
Des mots simples. On les entend.
Des numéros de cirque.
Un roman d'enfance (du théâtre, il se méfie sans doute, Rabeux).
« Je suis très surpris que les hommes ne voient pas dans la nudité d'abord la mort, mais l'amour. Ne voient-ils pas dans le baiser le fond du crâne, dans le pénis l'artère qu'on peut trancher (quant à moi je suis surpris toujours qu'il en jaillisse du sperme et non du sang comme il serait naturel) ? Dans la cuisse l'amputation ? Dans le cheveu l'odeur du porc grillé ?… » Jean-Michel Rabeux, Les Charmilles, premières phrases.