Couverture du programme 2001 du TGP

(Article de Roland Fichet publié en janvier 2011 dans le programme de saison du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis, à propos de la pièce « Les mains d’Edwige au moment de la naissance » de Wajdi Mouawad, mise en scène par Vincent Goethals, et représentée au CDN du 27 janvier au 4 février 2001.)


RUINES. Paysage familial et communautaire. Une cérémonie pour le peu de mémoire qui reste, pour le peu qui reste de nos amours, de nos religions, de nos familles, pour le peu qui reste de ce qu’on a été. Dans cette pièce de Wajdi Mouawad tous ou presque ont perdu quelque chose, quelque chose d’insaisissable, même pas sûr qu’il y ait quelqu’un à enterrer. Les petites déchirures sont devenues de grandes déchirures, ça ne va pas tarder à exploser, c’est dans l’air, pourvu que les mains d’Edwige… À la fin une grande déchirure libère de la vie.

LIQUIDATION. Panique dans les rangs : qui ou quoi va nous protéger de la méchanceté, de la nôtre et de celle des autres ? Nous nous dégradons à vive allure, nous allons tout droit vers l’anéantissement, il faut tenter le tout pour le tout, mettre au point une liturgie de liquidation pour éviter la déchéance. Vite un enterrement même sans cadavre !
Vite un miracle ! Et voila qu’un enfant va naître au fond d’une cave.

LES MORTS ET LES VIVANTS. La famille et la société moderne sont naturellement anthropophage. Elles prétendent user des corps de leurs membres, les tuer ou les mettre en scène au gré de leurs désirs et de leurs besoins. Les corps sauvages d’Esther et d’Edwige résistent. Toutes les deux ont fait de leur corps un corps sauvage.
Wajdi Mouawad fait craquer les articulations d’une société secouée, met le doigt – et appuie de toutes ses forces - sur ses points de démence. (N’est-ce pas là qu’éclate la beauté tragique des familles ?)