Matin. 5h15. Départ de l’hôtel Ganalé pour l’aéroport. Devant la porte de l’hôtel deux hommes couchés. Leur tapis de prière à côté d’eux. Tous les hommes transportent avec eux leur tapis de prière.

6h30. Aéroport de Dakar. Enregistrement. Pour la première fois nous sommes en classe « affaires ». Nous déjeunons dans un salon luxueux. Alcools. Fauteuils. Nous parlons du spectacle de samedi. Acteurs trop jeunes. Difficile d’établir avec eux un rapport sur le plateau aussi dense qu’à Saint-Louis. Spectacle globalement moins percutant qu’à Saint-Louis.

Damien : bandeau noir, lunettes noires. Papythio : béret multicolore, style rasta. Aucarré : dreads, collier, veste marron, casquette kakie. Théophile : veste de technicien kakie avec de multiples poches, et maintenant une casquette bleue marine (achetée à Dakar). Marie-Laure : petite culotte rose qui borde la ceinture, ventre visible, très grandes lunettes rondes. Princia. Dans l’avion, je suis à côté de Théophile Ngwe II, 25 ans, camerounais. Pourquoi Ngwe II ? Récit : Théophile, héritier du trône, a transmis à son oncle sa responsabilité de roi du village. Il voulait rejoindre Yaoundé pour faire du cinéma. Je lui raconte, à mon tour, comment en 2004, le roi de Baham Pouakam Max II m’a donné un titre et un nom : Te wafeu Tchombaguin. De par mon titre, je suis le cousin du roi de Baham. Nous parlons des pères et des fils, de la transmission, comment le désir de meurtre peut se glisser là-dedans, nous évoquons Pasolini.

Damien me passe une info : Christian Schiaretti a obtenu le Molière de la mise en scène pour Coriolan de Schakespeare, Stan Nordey nominé pour la mise en scène d’Incendies de Mouavad a été coiffé au poteau. Damien jouait dans Incendies. Il jouera dans quelques mois dans Les Justes de Camus aux côtés d’Emmanuelle Béart.

10h. Atterrissage sur l’aéroport de Bamako. Le CCF de Bamako. Des tables en rotin. Des chaises en rotin. Directeur : Jean-Luc Baillet. Sympathique. Le secrétaire général me donne nos per diem. Dans son bureau, un homme d’un certain âge. Beau visage.

Nous rejoignons l’hôtel Tamana. Nous prenons possession des lieux, comme on dit. Et quels lieux ! Une annexe de l’hôtel très spacieuse pour nous seuls : chambres, cuisine, terrasse. Nous jouerons le jeudi 30 avril. Nous n’avons jamais disposé d’autant de temps. Théo souhaite mettre ce temps à profit pour filmer des entretiens.

Nous pourrions être réunis là dans ce quartier parcouru de vastes rues de terre battue pour tourner un film. Théo pourrait nous dire : maintenant laissez respirer tout ce qui vous a traversé depuis Brazzaville, laissez remonter en vous Brazzaville, Pointe Noire, Malabo, Libreville, Lomé, Bangui, Cotonou, Ouagadougou, Niamey, Saint-Louis, Dakar… Mais nous avons soif.

Tous ensemble, nous allons boire une bière dans un bistrot de l’autre côté du « goudron ».

Boire la bière du pays est un rituel auquel nous tenons à sacrifier dès notre arrivée dans une nouvelle ville. En Afrique, nous aimons la bière comme nous ne l’avons jamais aimée en France.

À Bamako, nous buvons cette bière en prenant notre temps.

Nous la dégustons. L’heure est solennelle : Bamako, dernière étape de notre périple.

Il y a entre nous une douceur humaine. Nous nous considérons avec tendresse.

Aucarré me passe sa casquette kakie. Photo. Aucarré m’appelle Couz ; un diminutif de cousin, je suppose.