Préparation des Cahiers de Folle Pensée. Ce numéro centré sur les Pièces d’Identités me fait revenir sur la genèse du groupe d’auteurs. Je me replonge dans mon journal flottant et mes notes de travail. À partir de juin 2002, la constitution du groupe de jeunes auteurs, le dialogue avec des auteurs africains, les processus de création en Afrique et en France se tressent constamment. Dans le même temps j’écris Animal qui, en 2002, a encore pour titre Ça va.

22 et 23 mars 2003. Saint-Brieuc, Théâtre de Folle Pensée. Le corps des auteurs. Deux jours agités. Les auteurs se frottent et se piquent. Tous les auteurs du groupe Folle Pensée sont là, Marine Bachelot, Laurent Quinton, Eléonore Weber, Garance Dor, Carole Aubrée-Dumont, Juliette Pourquery de Boiserin, Alexis Fichet, Alexandre Koutchevsky, Gianni Grégory Fornet, Nicolas Richard. Kouam Tawa, l’auteur africain le plus proche du groupe, artiste associé à la compagnie, participe aussi à ces deux jours.

Séquence 1. Entame. Des règles ? Pas de règles ? Se donner des repères communs ? Élaborer un protocole d’écriture que tous les membres du groupe respecteraient ? Recherche d’un corps/corpus ? Ma proposition : que chaque auteur avoue ses repères dramaturgiques, qu’il énonce sa façon de procéder, ses points d’appui, ses ruses, ses dispositifs pratiques d’écriture. Objet : le travail des formes. On peut mettre sur la table les chemins, les itinéraires, les mouvements, les dérapages, les accidents, les cartes, le paysage… On peut tenter de décrire pas à pas sa façon de marcher.

Séquence 2. Lecture. Gianni Grégory Fornet lit des fragments de la pièce qu’il écrit. Titre : Pièce ouverte (Prototype) (Opening Night) (Opening Tight) (Ouvrir Serré). Après la lecture de Gianni moment de flottement : par quel bout prendre ce texte ? Vers quoi tend cette « pièce ouverte » ?

Séquence 3. Gianni se jette à l’eau : « J’écris un concept. Je développe un concept de spectacle. Plus qu’une pièce, j’écris un concept. ». Juliette dit ne rien comprendre des propos de Gianni. Elle ne comprend pas non plus ce que vient de lire Gianni, n’en saisit pas la visée, ne voit pas en quoi c’est du théâtre. « Si le théâtre c’est ça, qu’est-ce que je fais ici ? » Elle ajoute que ce texte la met dans un état pénible, un état d’énervement. Elle parle d’une expérience similaire vécue à Beaubourg, quand elle était en terminale. Elle est sortie en larmes d’une exposition d’art contemporain. Juliette s’énerve effectivement, qualifie l’exposition citée de nulle. J’essaie de dialoguer avec elle : « Si d’emblée on se jette à la figure des jugements péremptoires on aura du mal à examiner de près comment fonctionne tel texte ou telle œuvre. » Larmes.
Débat : Si on veut prendre du champ vis-à-vis des instances canoniques de la pièce de théâtre : (les personnages, la fable, le dialogue, les didascalies, le lieu, le temps, l’action…) que peut-on identifier comme repères pour parler du texte de théâtre ? La mécanique du texte ? Sa dynamique ? Sa poétique ? Ses intensités ? On peut tenter d’en parler comme d’un organisme vivant : le squelette, la chair, les muscles, la peau, les organes, la circulation des fluides. On peut tenter d’en parler comme d’un match de football : les limites, les règles, les combinaisons, les passes, les dribbles, les coups francs, les corners, les buts… On peut tenter d’en parler… La pièce de théâtre : quel héritage ? Comment nommer les déplacements, les pas de côté, les refus, les ruptures, les attaques frontales, les rebellions de toute nature qui irriguent nos textes ?
Certains membres du groupe ne veulent pas se contenter de voisiner avec la poésie et le roman, ils veulent les cannibaliser. La pièce de théâtre est pour eux une forme à construire, elle est par excellence une forme instable, ouverte. Penser la pièce de théâtre comme un dispositif de parole(s) qui trangresse, si nécessaire, les règles. Le théâtre comme art de la parole adressée.

Séquence 4. Lectures. Le sens du contre-pied de Kouam Tawa. Contrairement à ce que j’attendais, Kouam ne choisit pas de lire Le dit de la grand route ou Le dit du prétoire. Il ne nous met pas sous le nez la frontière poreuse du récit et du théâtre, il s’engage franchement sur un autre terrain. Kouam lit au groupe une pièce pour enfants : Les petits parents. Aussitôt après la lecture, la réflexion s’oriente sur le rôle social, voire pédagogique de ce théâtre, sur son articulation avec le politique. Kouam vit et agit à Bafoussam, dans l’Ouest du Cameroun. Il expose dans quel contexte il écrit. Pourquoi dans ce contexte il écrit ce qu’il écrit.
À la demande de Juliette, Carole lit le texte de Juliette : Une lettre, ou comment mettre en scène un sexe féminin. Le texte frappe. Écriture fine, nette. Une nouvelle.
Eléonore lit son texte La femme floutée, une nouvelle aussi. Fluidité et consistance.

Séquence 5. Pique-nique dans la salle même où nous tramons nos pièces et morceaux, accords et désaccords. Laurent nous sert avec le poulet froid quelques pages pornographiques – de son cru. Le contraste entre Laurent, ses poses d’étudiant dandy et timide, sa gestuelle, et ses variations stylistiques sur des motifs pornographiques fait beaucoup rire Alexandre, Alexis et Nicolas. Je le trouve aussi drôle et gonflé. Après le repas lecture par Alexis d’une série de figures : des animaux marins. Les textes sont courts : Alexis parle d’un roman déchiqueté dont il nous livre des fragments. À 3 heures du matin on s’épanche sur la fragilité des formes.

Dimanche 23 mars. Saint-Brieuc, Théâtre de Folle Pensée.

A – Aboyeuses. Je présente au groupe mon chantier Aboyeuses. Je détaille les différents points à partir desquels j’approche mon sujet et la forme de ce texte.
1) Les histoires de mon enfance : les aboyeuses de Josselin. L’enracinement dans la légende/l’histoire personnelle.
2) Le paysage humain et animal de mon enfance.
3) De l’auto-biographie à l’auto-fiction : Je suis le fils des aboyeuses.
4) Sources d’inspiration. quelques extraits de l’Apocalypse. Œdipe en Bretagne de Ph. Carrère. Les zoomorphoses/les métamorphoses. Le dialogue des morts de Lucien. Le réflexe de l’immobilité chez la femelle en chaleur (la truie) (texte technique) les légendes celtes (chien = mère = mort) ; la trace du diable (ce que malgré sa violence l’église chrétienne n’a pas réussi à anéantir).
5) La catastrophe dans le corps.
6) Formes. Figures du duel. L’immobilité dans le face à face. Le passage brutal de l’immobilité au mouvement. La zone du contact.
Discussion sur le matériau et sur la démarche.

B – Passages et frontières. Reprise du débat sur le cheminement des uns et des autres, sur les passages et les frontières entre les genres littéraires.

C - La question de la langue. Le mot « langue » ne s’est-il pas substitué au mot style ? Qu’est-ce que ce mot traduit que le mot style ne traduit pas ? « Style : travail de transformation qui s’exerce non sur des idées, mais sur des formes. » Roland Barthes. Le bruissement de la langue.

D - Roman. Kouam lit le début d’un roman qu’il vient de commencer.