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Olivia Duchesne et Laurent Rossini, artistes inspirés de Nouvelle Calédonie mettent en scène et jouent en ce moment ma pièce D'Où ? Comédie géographique. Comment sont nés ces D'Où ? m'a demandé Olivia. Dans les quelques lignes qui suivent, je tente de te répondre, Olivia.


D'où parles-tu ?

J'ai passé mon enfance dans un village breton, tout au bord d'une forêt. À peine apprenait-on qu'une fille de la commune « fréquentait » un jeune homme non identifié qu'aussitôt surgissait la question décisive : d'où il est ? Non pas : est-ce un type bien ? mais : d'où il est le gars ? Question aussitôt suivie d'une autre : ses parents font quoi ?

J'ai réalisé très tôt avec anxiété que ma valeur sur le marché de l'amour (et du mariage) risquait d'être considérablement diminuée par mon lieu d'origine et par la condition modeste de mes géniteurs. Aussi ai-je pris la ferme décision de faire l'impossible pour rejoindre une ville dès qu'une porte s'ouvrirait. Car qui n'habitait pas la ville à l'époque n'était qu'un cul-terreux, un arriéré, une sorte de sauvage. C'est peut-être encore vrai aujourd'hui. Quand un père ou une mère pouvaient fièrement annoncer : il est de Paris ; alors là, pour le coup, toute la famille bondissait dans l'échelle sociale, s'arrachait à la boue, au fumier.

Le premier D'OÙ ? est venu tout seul. Campénéac est une bourgade du Morbihan profond que je connais bien. Un D'OÙ ? intégralement breton. J'ai eu du plaisir à le voir apparaitre ce D'OÙ ? malicieux. Il est entré dans la série FENÊTRES ET FANTÔMES et s'y est planqué un bon bout de temps.

En 2007, invité au Congo pour ouvrir un chantier de théâtre avec des danseurs et des acteurs, m'est venue l'idée de reprendre la trame de ce premier D'OÙ ?, de la déplier géographiquement, de jouer sur la variation. J'ai testé cette première série en Bretagne avec une actrice et un acteur d'une grande vitalité rythmique : Flora Diguet et Damien Gabriac. Bonne intuition : jubilation des acteurs et de l'auteur ; impression excitante d'avoir trouvé une forme percutante ; satisfaction d'infiltrer du politique dans une forme comique.

J'ai pris l'avion pour Brazzaville avec dans les poches mes Fenêtres et Fantômes et ces D'OÙ ? tout frais. Ces D'OÙ ? qui les emmenaient à Split, à Salapoumbé, à Kampala ont mis les danseurs et les acteurs en émoi. Ils m'ont raconté des histoires de famille, décrit dans le détail les rivalités entre les clans, les ethnies, les territoires. Plusieurs des Congolais présents avaient vécu la guerre intestine déclenchée en 1997. Leurs récits m'ont secoué.

Cependant, je n'ai pas voulu quitter le chemin sur lequel j'étais engagé. Cette question insistante — D'OÙ ? — est restée le point de départ et la ligne de fuite de cette comédie. Hé oui, cette variation sur l'origine et l'émancipation devenait jour après jour une pièce de théâtre. J'en étais moi-même étonné. Et en douceur cette pièce tissait à sa manière des thèmes bien costauds : amour/mort, désir/menace… De vieux couples thématiques qui s'invitent fréquemment au sein de la famille, au sein du clan, au sein du territoire. À chaque nouvelle scène que j'écrivais je le réalisais davantage.

J'avoue enfin que c'est avec jubilation que j'ai retrouvé et mis en scène au centre de ce carnaval de déclinaisons drolatiques le rapport père/fils et père/fille.

Saint-Brieuc le 13 juin 2013