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Une des étapes les plus singulières de la tournée des Anatomies 2009 - Comment toucher ? fut la Guinée Equatoriale, seul pays non francophone de la liste des pays à notre programme. Curiosité en Afrique : on y parle l'espagnol. Une partie de la Guinée Équatoriale est bordée par le Cameroun et le Gabon mais sa capitale, Malabo, se trouve sur une île, l'île de Bioko. A peine le pied posé sur l'île de Bioko, la première personnes que je rencontre se présente sous le nom de Pépé.
Ah Pépé ! Aujourd'hui ce Pépé qui hante depuis toujours l'Institut Français de Malabo prend sa retraite. Ivanne Girard qui dirige, depuis quatre ans le dit Institut Français de Malabo veut saluer l'action et la présence de Pépé au sein de l'Institut Culturel d'Expression Française (c'est le nom historique de ce centre culturel pimpant et dynamique). Te souviens-tu de Pépé ? me demande-t-elle. Si je me souviens de Pépé ! Et comment ! Peux-tu m'écrire un petit papier sur Pépé ? Avec joie ! Le voici :


L'ange gardien de Malabo

S'il y a quelqu'un de précieux dans la vie c'est le petit bonhomme. Ou la petite bonne femme. L'humble indispensable. Celui ou celle qui ne paye pas de mine, que vous ne voyez pas tout de suite en descendant de l'avion, du bus, du taxi. Il est là, elle est là, à l'écart, vous fait juste un petit signe. Vous vous avancez vers elle, cette personne que vous n'avez jamais vue mais que vous reconnaissez instantanément. Dieu soit loué, l'ange gardien que je n'osais espérer est là devant moi en chair et en os. À Malabo, l'ange gardien s'appelle Pépé.
Quand notre petite troupe, la petite troupe des Anatomies 2009-Comment toucher? du Théâtre de Folle Pensée a débarqué le 24 mars 2009 dans la capitale de la Guinée Équatoriale, Pépé était là. Un petit homme. Attentif. Vif. Tout de suite- nous avions mis les pieds dans l'Île depuis dix minutes- des jeunes femmes en blouses blanches ont stoppé notre élan. Rudolf et Princia n'avaient pas selon elles les certificats de vaccination exigés. Tout de suite, comme par miracle, Pépé a réglé le problème. Il m'a juste dit: " Il y a toujours une solution."

Le lendemain, après les répétitions , j'ai demandé à Pépé de me piloter dans la ville. Je sentais que ce bougre d'homme était le meilleur guide possible. Je ne me trompais pas, j'ai circulé avec un homme qui observe, qui médite, qui partage.

À Malabo, partout des bâtiments en construction. Certains de grande dimension. Les anciennes maisons de style espagnol avec arcades, patios, balcons, volets à claire-voie verticaux côtoient de nouvelles constructions modernes. Les maisons"espagnoles" aux nombreuses fenêtres souvent jaunes sont la plupart du temps très dégradées. Le palais présidentiel est immense et somptueux. Pépé me montre tout cela mais n'émet pas de jugement. Ouvre les yeux et voie, semble-t-il me dire, éludant mes questions.

J'insiste pour sortir de Malabo. Pépé me conduit dans un quartier de pêcheurs au bord de l'océan. Nous descendons de voiture. Nous nous approchons de pirogues affalées sur la grève. Les pêcheurs ne peuvent quasiment plus pêcher. Toute sortie en mer est contrôlée. Le Président Obiang Nguéma se méfie de ce qui peut venir de la mer, particulièrement depuis l'attaque du 17 février. Ce jour-là, une bande de "pirates" a tenté de forcer les portes du palais présidentiel. Ce sont vraiment des pirates venus de l'océan qui ont tenté d'envahir le palais présidentiel? Le rusé Pépé répond calmement à ma question: " Sait-on d'où viennent les pirates?".

Sur les murs des d'affiches de sensibilisation à la prévention du sida, j'interroge mon chauffeur dont la présence si dense me fait du bien: "Il y a beaucoup de malades du sida, non? C'est une maladie terrible." Il me répond: " Il y a ici une maladie dix fois pire que le sida." J'insiste: " Laquelle?". Pépé me laisse deviner. " L'argent?" Il opine du chef.

Le dernier soir, je bois une bière dans un boui-boui en compagnie de Pépé et de Papythio. Nous sommes assis sur un banc de bois, dehors. Il fait bon. Les gens passent. Pépé se tourne vers moi et me fait le cadeau du fruit de ses méditations d'homme qui a roulé sa bosse. Il me dit:
" Ce que tu as c'est ce que tu manges, ce que tu bois et ce que tu fais avec ça- Il désigne son sexe- Voilà ce qui t'appartient. Seulement cela t'appartient et rien d'autre. Rien d'autre que ça. Tout le reste ne t'appartient pas: enfants, maison, argent. Rien d'autre que ça: ce que tu manges, ce que tu bois et ce que tu fais avec ça."
Merci Pépé, tu as été mon ange gardien philosophe.
Pour moi, tu es l'ange gardien de Malabo.
La Guinée-Équatoriale a une âme. Je l'ai vue dans tes yeux, dans ta façon d'être.

Roland Fichet 21 juin 2013