pho-olaimp.jpg

(Les rencontres de Carmélie, la religieuse rock de Saint-Brieuc. Feuilleton.)

Lettre de Carmélie à Marie, son amie. Marie tient le bistrot Le Gwen ha du à Saint-Gilles-Pligeaux.

Chère Marie,

Catastrophe ! Une nouvelle fugue hé oui. Plus moyen de me tenir, je fugue, je fugue. Quelle ingrate je suis, pourtant accueillie en douceur par la mère supérieure après mon escapade à Saint-Gilles-Pligeaux. (Ah, la danse sous la neige avec toi, Marie, quel pied !). Je suis de plus en plus insomniaque, du coup j’ai des fourmis dans le corps. Ou peut-être que c’est l’inverse. J’ai pris la tangente pour fêter à ma façon le mardi-gras… et je suis rentrée au bercail.

Pour la deuxième fois la mère supérieure m’a replongée dans l’insipide quotidien de mes sœurs sans trop de sermon mais à une condition : « Tu te confesses illico, Carmélie, et tes turpitudes, tu les gardes pour toi et ton confesseur. »

Turpitudes ! J’ai réagi : « Mère, je sais pourquoi Benoît XVI a jeté l’éponge romaine (qu’on éloigne de moi ce calice !), j’en avais la prémonition… »

Tais-toi, Carmélie, a-t-elle rétorqué, ne blasphème pas, la place n’est plus vide, le trou est bouché, Benoît est effacé, François a surgi, latino et magnifique, dès cet après-midi, tu confesseras tes péchés à Monsieur Le Vicaire de la Cathédrale Saint-Étienne.

C’est bon, c’est bon, j’ai concédé, mais au moment de franchir la porte de son bureau, je lui ai quand même décoché la flèche du Parthe : « Je veux être désirée. »

Ma sortie l’a sciée, physiquement. Elle s’est penchée en avant et a soulevé ses jambes l’une après l’autre comme si elle venait de marcher dans une bouse.

La confession, je ne dis pas non, la confession je ne dis pas non, pas non, pas non, une confession au ras du corps ça requinque. Se mettre à nu jusqu’à l’os comme dirait Grisélidis c’est peut-être ce qu’il me faut pour stimuler ma joie de vivre.

Excitante, cette partie à deux, dans un meuble vertical. Toujours en service dans notre carmel, Dieu merci, le confessionnal, les religieuses y tiennent beaucoup. Trop top comme invention. Un meuble à deux places comme on dit un lit à deux places, où on chuchote de petites cochonneries la bouche collée contre l’oreille de monsieur le Vicaire. Juste une petite fenêtre trouée entre ma langue et son oreille.

Et le vicaire de la Cathédrale Saint-Étienne c’est un drôle de corps, effervescent comme un Sarkozy de sacristie, tu vois le genre. Le dimanche de l’Assomption, je me suis évanouie en criant : « Démon, sors de ce corps. Sors de ce corps, démon ! » Il m’a relevée, tapotée et un peu pelotée. Toujours envie de le mener en bateau, c’est plus fort que moi. Et question bateau, depuis la semaine dernière, grâce à Frédéric Ciriez, j’assure grave.

Sublime dans mon cœur, je me suis avancée vers le confessionnal dans ma tenue la plus stricte, cornette et tout et tout. Une fois à genoux sur le petit banc dans la loge de bois, j’ai gémi ho là là, ho là là, ho là là.

Lui — Libérez-vous ma sœur.

Moi — Mon père, j’ai recommencé.

Lui — (émoustillé) Vous avez recommencé quoi ?

Moi — Je n’ose pas vous le dire mon père.

Lui — Courage, ma fille, courage, je peux tout entendre, je dis bien TOUT, dites-moi précisément ce que…

Moi — Précisément ?

Lui — Je vous aiderai. Dieu connaît mieux les femmes que…

Moi — Dieu ne connaît pas…

Lui — Mieux que vous l’imaginez, les femmes il les connaît, Dieu ; et son ministre idem, surtout les vierges, spécialité de l’église.

Moi — C’est que.

Lui — C’est que ?

Moi — C’est que que que

Lui — Que que que que que quoi ? Allez, ma soeur.

Moi — C’est que que que que que que que que…

Lui — Allez, allez, Carmélie.

Moi — J’ai volé du jambon à la cuisine.

Lui (déçu) — Du jambon ?

Moi — Du jambon.

Lui — Du jambon ? Quelle sorte de jambon ?

Moi — Du jambon blanc. Dix tranches.

Lui (furieux) — Que vous vous soyez empiffrée de dix, vingt, ou cent tranches de jambon, je m’en bats les clochettes, ma sœur. Vous me décevez, Carmélie, vous me décevez beaucoup. Vous croyez que c’est bid bid bid bit bitonnant de passer des journées entières dans une niche à écouter des sornettes de bonnes sœurs en cornette engoncé dans une chasuble qui n’est même pas à ma taille.

J’ai craqué, Marie, bien sûr, j’ai craqué, il était trop touchant, le petit vicaire bourré de tics, il pleurait presque.

Je suis la religieuse iconoclaste au plus près de son miroir brisé, lui ai-je soufflé à l’oreille, je vous embarque dans un vaisseau qui va mettre en émoi votre libido. Je suis la sœur de Grisélidis Réal a qui je viens d’emprunter ces mots. Grisélidis Réal c’est une amie défunte de Frédéric Ciriez. Une Fabuleuse.

Dérechef, mon vicaire chaviré, je l’ai introduit dans l’Olaimp, le sous-marin-bordel de Frédéric Ciriez. (Tu te souviens de Frédéric Ciriez, il nous été présenté dans la galerie d’Alexandre Solacolu par Frédérick Laurent, le cinéaste , le petit fils de Louis Guilloux. Vif, le gaillard, je suis repartie avec sa carte de visite dans la poche).

L’Olaimp ! L’Olaimp de Paimpol !

C’est de ce ventre humide que je reviens, chère Marie. De cet oblong vaisseau qui mouille dans la baie de Paimpol, j’émerge à peine. Un ange rock, ce Frédéric Ciriez. Une voix ! Une voix qui envoûte. « Tu sentiras le parfum du sexe de la mer. Approche-toi, le Fascinant t’attend. » Le Fascinant ! Le sous-marin de chasse qui aujourd’hui abrite des beautés offertes et celtiques portait autrefois ce nom : le Fascinant ! J’y ai rencontré du beau monde : un diacre, un sculpteur, un champion du monde (de quoi ? de quoi ? je te le dirai plus tard), une femme-fontaine, un candidat au suicide érotique…

Je n’ai pas rêvé, je t’assure, je n’ai ni rêvé, ni déliré. Je vais te dire un secret : Je pressens une nouvelle voie vers la sainteté, peut-être même le martyre. Je ne blague pas.

Oh ! comme elle m’a émue la frêle Rose des vents, élevée aux Rosaires, la grande plage de Plérin, tout près de Saint-Brieuc.

Oh ! comme elle m’a subjuguée, Cascade, la prodigieuse putain, au sexe continuellement en crue.

Frédéric Ciriez avec son caban breton, ses yeux malins, ses étonnements d’enfant c’est l’enchanteur Merlin. Tard dans la nuit, nous avons dégusté ensemble une saucisse-galette sur le port de Paimpol. Il m’a parlé d’une chapelle où les croyants peuvent se recueillir avant et après l’amour. Nous irons y prier un de ces jours, il me l’a promis. Il a glissé dans ma poche une bible. C’est, m’a-t-il dit, la bible des délices, la bible de Grisélidis. Je suis rentrée au couvent, plus Marie-Madeleine que jamais.

J’espère te voir bientôt, Marie.

Bises marines.

Carmélie — 18 mars 2013