(Note d'intention de Kouam Tawa, quant à une éventuelle mise en scène africaine de "Animal". Écrit à Bafoussam, le 30 avril 2004)


« Au cœur du théâtre se joue l’élaboration de la langue,
l’invention de la langue, la ruse des langues
pour lutter contre la langue de bois, contre la langue morte. »
Roland Fichet

J’ai entendu « Animal » pour la première fois à Saint-Brieuc, à l’Ouest de la France, dans une lecture de l’auteur. Je ne sais plus si c’était à son domicile de la Rue Cordière ou dans le bureau du Théâtre de Folle Pensée — qu’il dirige — sis à la Rue Jouallan. Mais me revient comme si c’était hier le souvenir de cette soirée doucement froide où la fièvre des derniers moments de la vie d’une famille me réchauffait. Cette première écoute ne m’avait pas permis de saisir les divers contours de l’histoire, mais m’avait mis au contact d’une langue vivante, neuve, qui frémissait dans mes oreilles comme le grincement d’une cithare mise en tourmente par un vent étourdissant.

J’ai pour la deuxième et pour la troisième fois entendu « Animal » à Batié, à l’Ouest du Cameroun, lors d’un chantier théâtral dirigé par le metteur en scène Frédéric Fisbach. La mise en voix et en mouvement de ce texte animal dans un paysage de campagne qui par sa solitude et son brouillard évoquait celui sur lequel s’ouvre la pièce a mis en lumière l’odyssée de cette famille qui quitte sa concession désolée d’Afrique pour aller s’épuiser dans une cabine téléphonique de Roissy, en me révélant la matérialité de cette langue dont le bruissement traduit si bien l’effroi que suscite la vie dans un monde où tout ce qui est animal est enfermé, supprimé, transformé.

J’ai pour les autres fois entendu « Animal » lors des lectures à haute voix avec mes amis Wakeu Fogaing et Martin Ambara, après que nous avons su que nous ferons partie de l’équipe de création de la pièce par le Studio-Théâtre de Vitry. Nous lisions pour nous imprégner de la langue atypique dans laquelle s’exprimaient les personnages et nous préparer à prendre plus tard le taureau par les cornes. Mais au fil de nos lectures, Kalonec, Nil, Iche, Fricaine et Chienne se rapprochaient de nous, se confondaient à nous, devenaient nous. C’est alors que nous avons perçu qu’il y a de fortes résonances entre ce langage et celui que forgent les peuples pour traduire les réalités de leur vie et résister à l’oppression des formes d’expression établies.

C’est de cette découverte qu’est né notre désir de nous approprier l’écriture de notre compagnon de route Roland Fichet — qui a si bien su faire passer l’émotion du langage parlé à travers l’écrit — pour la révéler au public camerounais et africain. L’enjeu de notre travail sera moins d’illustrer le tragique des situations que d’y rechercher « la légèreté grave de la comédie » chère à l’auteur, moins de raconter une histoire de personnages en fin de parcours que de mettre en jeu une langue qui trouve sa condensation esthétique dans le « Qui quoi dans toi glapit comme ça ? » du début de la pièce, moins de présenter ce que cette langue a d’étrange que de retrouver ce qu’elle a de familier, moins de donner à entendre ce qu’elle a de vibrant et de retentissant que de découvrir ce qu’elle produit « d’in-su, d’in-attendu, d’in-entendu ».