Couverture du livre « Terres promises » de Roland Fichet, éditions Théâtrales

( Lettre envoyée à Emmanuel de Véricourt, alors directeur du TNB, au sujet de "Terres Promises", janvier 1993.)

J'aime que vous ayez été interrogé sur "Terres Promises". j'aime bien que vous ayez répondu de cette façon. J'aime bien aussi que Claudine Quiblier se soit ait la voix d'un certain public. Parce que j'aime bien encore avoir envie de donner mon avis !
Même si on ne me le demande pas ;
Pour une fois, j'ai envie de sortir du silence habituel dans lequel s'épatouille le public mécontent !
Je suis de "ces gens plus âgés qui ont aimé", peut-être "préféré le balladin du monde occidental".
Mais je suis aussi très sensible à la mission de "découvreur" du TNB : nécessaire et risquée.
J'ai applaudi silencieusement "Terres Promises" pour le "spectacle" ; c'était un spectacle fastueux : mise en scène, costumes, musiciens, acteurs. Beaucoup de beauté qui parlait, beaucoup de bon travail de présence, de voix, de conviction de tous les comédiens, charmantes hôtesses mécanisées qui, finalement, donnaient l'une des clefs de l'ambigu final.
Et en effet le problème n'est pas là.
J'ai écouté le texte qui est poétique et dit le plus souvent beaucoup de choses que j'ai reconnues - très beau texte- qui mérite surtout la lecture directe car il est très marqué de ces sentiements fugitifs, insaisissables si on ne le lit pas avec les mots inscrits.
"Le spectacle réussi est une alchimie..."
Je me suis demandée en sortant pourquoi cette "dichotomie", c'était le mot qui me venait. Et d'une certaine manière vous ne répondez pas à la question du "texte", précisément "le texte", vous non plus !
R. Fichet est pour moi également "un dramaturge", au sens fort du terme. Le spectacle était une dramaturgie, avec tous les rituels magiques symboliques battus au rappel. D'où sa beauté indéniable. Et cependant toute une rangée de spectateurs s'est levée devant moi et a quitté la salle. Et moi je ne faisais que me dire "Sacré Fichet ! Toujours le même ! Impossible !" et me répondre "Magnifique !".
J'ai donc réfléchi à ce qui ne s'était pas fait. Parce que si le théâtre de R. Fichet m'agace presque toujours, je vais le voir presque toujours ! Il est de ceux-là qu'on est bien obligé de suivre dans ce qu'ils font ; il "apporte".
Voici ce que j'ai trouvé : l'action dont le texte doit être porteur et qui passe par la présence physique des personnages est, dans "Terres Promises" essentiellement intérieure. Ces paumés qui ont fini par trouver une réponse, qui ne vaut que ce qu'elle vaut, à leur apparent faux-sens antérieur (parce qu'en fait ils subissent une sorte de poussée inconsciente vers une vérité morcelée qui aspire à se reconstituer - c'est tout au moins ce que j'ai compris !) ; cette réponse, ils nous la disent beaucoup plus qu'ils ne nous la font vivre avec eux. Ils bougent et crient et se métamorphosent (la grosse est une petite merveille parmi les autres) mais l'essentiel de leur histoire est dite avec des mots. Ce qui oblige le regardeur-public à être aussi un écouteur attentif, sinon, il y a des "blancs". Ce sont "ces blancs" de a compréhension qui ont fait se lever les gens. Privés de leur sens théâtral et symbolique, les gestes devenaient gesticulation et "l'alchimie" ne se faisait pas.
C'était en effet un spectacle fatigant qui demandait une participation totale aux spectateurs, athlétique, tout Azimut et sans faiblesse ; toutefois distanciée.
Rien d'étonnant à ce que certains (beaucoup ?) soient rentrés moroses chez eux.
C'est la théâtralisation du texte qui est en cause. PAS le texte. L'écriture même du texte. PAS sa qualité d'écriture !
Le fait qu'il soit poétique mais aussi racontant des histoires bouleversées et prises à l'intérieur de perception individuelles (qui ont toutes un point commun mais donné, rendu différemment) rend inconfortable le passage à la mise en scène car celle ci faisait faire du trapèze au malheureux public, du fantasme au réel, du petit vrai de chaque jour aux grand drames humains.
Je trouve que c'était à tenter. Mais celui qu'on appelle le "Grand public" était plus rassuré avec le balladin.
J'ai pensé aussi qu'un de ces bons petits Molière qui nous manquent tant m'aurait réjouie ce soir-là. Comme une bonne tisane pleine d'arôme et de redécouverte !
Ne vous étonnez pas de ma lettre. Quand j'ai envie d'y voir clair, j'écris. Pourquoi pas à vous ?
J'en reviens à ce que je sais ; R. Fichet à une écriture qui déclenche la polémique. Il serait peut-être plus à l'aise dans l'écriture-mémoire. Je ne sais. Que ferait-il alors de ses qualités théâtrales ? Pour moi et malgré moi, il m'oblige à penser ! Molière aussi. Mais le code n'est pas le même.

Malicieusement à vous, à lui, et au spectacle !

Marie Lecourt