(article écrit pour le journal de folle pensée n°5 Mars 1998, . Moi je le trouve bien, mais est-ce  qu'il peut être publié sur le blog ? Si oui, le journal aléatoire de la décennie me paraît pas mal.)

Quoi de neuf à Folle Pensée ? Nous fondons un théâtre. Bien sûr, on ne peut le dire qu’avec un sourire, mais quelque chose de cet ordre est bel et bien en train de se passer, de nous dépasser. Nous sommes dans ce mouvement, nous nous sentons dans ce mouvement. Si fragile est l’existence d’une compagnie de théâtre avec groupe d’acteurs permanents (Folle Pensée = 12 personnes toute cette année et 34 en mai-juin), si fragile que c’est sur la pointe des pieds que nous avançons, que nous explorons ce nouvel espace public que nous nommons FABRIQUE DE THÉÂTRE, et sur la pointe de la langue que nous en parlons (parler sur la pointe de la langue : acrobatique !).
On peut sans doute présenter en quelques actes récents les gestes qui nous portent vers cette fondation, simplement nous considérerons cette dernière année comme la partie visible (la partie que l’on choisit de voir) d’un voyage théâtral de vingt ans, voyage théâtral toujours fait en compagnie, entrepris et réalisé par une compagnie chaque année plus dense. Cette partie de notre voyage que nous choisissons de regarder est aussi pour nous un point de passage, une brèche, c’ est-à-dire la fin d’une forme et le début d’une autre, le signe et la trace d’une révolution en cours.

 

Premier Acte

Création. Dans la foulée des derniers mois de 1996 tout entiers centrés sur la constitution d’une bande d’acteurs plus large, d’une troupe régénérée, nous avons ouvert l’année 97 par la création de deux spectacles : La prière des vaches et Petites comédies rurales. Le public a tout de suite répondu présent et nous a proposé un nouveau pacte. Il est arrivé que nous le décevions le public, il est arrivé qu’il trouve trop complexes certains de nos spectacles ou trop opaques… Au cours des représentations des Comédies rurales il y avait comme de la réconciliation dans l’air.
Partout dans les côtes d’Armor et en Bretagne un public amical était au rendez-vous. À Saint-Brieuc chaque soir nous avons joué trois représentations et chaque soir devant une salle comble. Ce geste d’accueil, d’hospitalité, du public nous a touchés (car c’est d’abord le public qui nous accueille chez lui, et nous qui à notre tour l'accueillons dans ce « fragment de monde » que nous lui présentons).
Ce dialogue si heureusement engagé nous avons voulu le prolonger et nous sommes descendus au port du Légué.

 

Deuxième Acte

Quais des Artistes, Folles Pensées / Comédies. Dès le début du mois de juin, invitée sur le site par la Ville de Saint-Brieuc, notre tribu (Folle Pensée + la compagnie Dérézo = 35 personnes !) s’est mise à rêver des soirées de théâtre inédites autour du pont de Pierre et dans l’espace Dard’Art. D’abord sous une pluie battante puis soutenu par un soleil complice (pendant les représentations en particulier, ouf !), nous avons jeté les bases d’un festival de théâtre au bord de l’eau et dans la compagnie des bateaux… Nous avons réinscrit tous les rites du théâtre dans cette friche verte au bord du Gouët (friche avec son gardien inspiré : le plasticien Christian Pinçon ) .
Vague après vague nous y avons accueilli du 18 au 20 juillet, l’après-midi, le soir, la nuit, un public chaleureux, tout ébaubi de partager avec nous la jubilation du théâtre. Sous nos hangars et sur le cercle de toile de Dérézo, pleins comme des œufs, a soufflé un vent de fête et de poésie. Sous les étoiles quelque chose a pris son envol, un rêve de théâtre populaire ouvert sur le grand large.

 

Troisième Acte

Tournées. Tunisie. États-Unis. Au Légué, cet été, les Scènes de Naissances que nous jouons depuis 1991, après leur longue marche à travers la France, ont croisé les Comédies rurales. Folles Pensées / Comédies présenté à Quais des artistes, témoignait de cette jonction, de ce fondu enchaîné. Jonction attendue par les comédiens de la troupe et qui se poursuivra sous une autre forme à Nîmes où nous passons les mois de mai et juin 98.
Dès le mois de juin 97, pendant que la plus grosse partie de la bande répétait au Légué, quelques Scènes de Naissances se sont envolées pour le premier Festival du comédien de Gabès en Tunisie. Nous y avons joué quatre pièces courtes dont La nuit américaine de Michel Azama.
Fin septembre, nous sommes repartis, cette fois pour l’Amérique, où nous avons présenté à l’université de Duke, en Caroline du Nord, L’Apprentissage de Jean-Luc Lagarce et où nous avons créé La Déclaration et Mon Combat, trois pièces courtes mises en scène par Annie Lucas.

 

Un "Chez Nous"

Notre communauté/territoire nous fait donc signe et dans le même temps se poursuit l’étonnant périple des Naissances (machine théâtrale à explosions multiples). Comment cultiver l’équilibre entre les créations et représentations en Bretagne, les tournées dans les théâtres de France, les déplacements à l’étranger ? C’est notre souci constant, et chaque jour nous éprouvons notre boitement : il y a quelque chose qui cloche et ce quelque chose qui cloche nous fait boiter. Nous marchons sur un fil en boitant, pas très commode !
La contrainte s’exerce en particulier sur les répétitions et sur les périodes d’entraînement et de recherche, mais aussi sur les temps de rencontre avec le public, avec la population, sur ces espaces de formation et de dialogue si précieux que sont les ateliers de théâtre, ateliers que nous ouvrons et que nous voulons ouvrir encore plus aux amateurs, aux étudiants, aux adolescents…
Cet équilibre de funambule donc ne tiendra, ne pourra être tenté et tenu, que si nous donnons une nouvelle définition physique à notre théâtre, un ancrage matériel solide et exact ; pour accueillir l’ autre il nous faut un « chez nous ». Nous avons trouvé asile ces deux dernières années dans de nombreux lieux, en particulier au Centre culturel de Ploufragan et à La Passerelle Scène nationale de Saint-Brieuc, partenaire constant qui heureusement nous ouvre largement ses portes ; mais ce qui est en jeu, ce à quoi nous invitent ce qui s’est passé ces derniers temps et notre désir artistique c’est le franchissement d’une limite (de ce qui nous limite), d’une frontière, d’une époque, c’est le remodelage de notre façon de travailler, d’entrer en contact avec le public, de mettre en relation les œuvres et les gens, de faire du théâtre.

 

De l'autre côté

Nous sommes remués par l’air du temps et aux prises avec les formes actuelles de l’art et de la culture. Nous sentons que ce temps est le temps juste pour nous d’un geste inédit, d’un geste de fondation (dans ce « nous » doit s’entendre toute la « communauté théâtrale » qui porte aujourd’hui le Théâtre de Folle Pensée, qui lui donne son souffle).
Notre pari, notre enjeu : inventer un espace artistique ouvert à des expériences neuves,tant sur le plan de la création, du croisement des arts et de la littérature,
que sur le plan de la transmission et de l’échange, ouvert à d’autres initiatives que les nôtres, à d’autres compagnies, ouvert à ce qui vient ; un espace artistique capable de tracer quelques lignes de théâtre pour demain. Bien loin de chercher un refuge, nous voulons tracer des circulations inhabituelles, nouer de vraies solidarités humaines et artistiques, fabriquer de la communauté dans un espace public hospitalier.
Sensibles aux vibrations de l’époque, à ces secousses qui chahutent le petit monde du théâtre mais aussi beaucoup d’autres mondes (grands et petits) nous voulons ici et maintenant dans ce coin de Bretagne remettre du jeu dans le jeu et passer en beauté de l’autre côté de l’an 2000.