René Char, l’homme exact, né le 14 juin. Jean-Paul Sartre et Françoise Sagan, nés tous les deux le 21 juin, prince et princesse de l’union libre. Henri Michaux, né le 24 mai. Le voyage intérieur. Louis-Ferdinand Céline, le délinquant mythomane aux mains de médecin, le braqueur du style, né le 27 mai, pas loin du marquis Donatien de Sade né lui-même le 2 juin. Et le 18 juin ? C’est le jour de naissance de Blaise Pascal, esprit de géométrie et esprit de finesse, le joueur mystique. Les folles pensées de Pascal… Tous des dingues du style, même Sartre (Les mots), (Sagan ? ça se discute.) Tous surtout habités d’une sacrée démence dès qu’ils prennent la plume et aussi pour certains quand ils ne la prennent pas. Est-ce cette démence qui les rend captivants ?

« La haine rend décidément encore plus bête que l’amour. C’est tout dire. Nous n’avons rien lu dans le genre qui dépassât, brêve ou incohérente, la mauvaise lettre du gastritique qu’on n’a pas pu guérir, ou celle du refoulé, malheureusement sans télégraphiste. »
Louis-Ferdinand Céline. Le style contre les idées p. 33.

Puis-je trouver piquant que Céline soit breton par sa mère, petite marchande de dentelles ? Puis-je être intrigué et intéressé par ce fait : c’est au Cameroun que Céline a pressenti sa double vocation d’écrivain et de médecin ? Avec Céline toujours le malaise. On ne peut se réjouir de rien. La démence justement. Cette démence qui fracasse le « politiquement correct », qui ouvre portes et fenêtres à grands coups de pied et de style peut aussi conduire au pire… Céline l’a prouvé. « La haine rend décidément encore plus bête que l’amour. C’est tout dire. » Bétise et démence… Intelligence et démence… Les étincelles qui jaillissent sous les sabots de l’écrivain emballé qui ne peut maîtriser sa fureur intime…

« Ma mère était réparatrice de dentelle ancienne. Il ne faut pas que le temps compte, il ne faut pas que l’argent compte. On ne fait plus dans la dentelle… Personne ne veut plus… Ça ne paie pas. Le roman ne paie pas non plus… Les gens ne sont pas faits pour. Les " pas faits pour " se font académiciens, ils font des tas de trucs puis ils deviennent tyranniques. Et ils sont méchants. Les " pas faits pour " tiennent le haut du pavé, ils ont tout pour eux, comme ils ont la force et le nombre. Comme disait Péguy, rien n’est plus féroce pour un bonhomme qui fabrique des trucs que les gens intelligents. Ils sont des critiques abominables. »
Louis -Ferdinand Céline. Le style contre les idées p. 79.

Le 16 juin, je lis à Jean-Baptiste, mon fils troisième dans l’ordre de naissance, le texte de Céline contre Sartre intitulé À l’agité du bocal. Sartre dans son Portrait d’un antisémite avait écrit : « Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis, c’est qu’il était payé. »

Fureur de Céline qui, au moment où paraissait l’article dans les Temps modernes en 1945, était en prison. Céline ne prend connaissance de l’article de Sartre qu’en 1948. (Curiosité : tout au long de son pamphlet, Céline appelle Sartre Jean-Baptiste et non Jean-Paul.) La grossièreté des termes interloque Jean-Baptiste. « Ah ! le damné pourri croupion ! Qu’ose-t-il écrire ? « Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c’est qu’il était payé. » Textuel. Hola ! Voici donc ce qu’écrivait ce petit bousier pendant que j’étais en prison en plein péril qu’on me pende. Satanée petite saloperie gavée de merde, tu me sors de l’entre-fesse pour me salir au dehors ! Anus Caïn pfoui. Que cherches-tu ? Qu’on m’assassine ! C’est l’évidence ! Ici ! Que je t’écrabouille ! »

Nous parlons du délire antisémite dans lequel se vautre Céline dans ses trois pamphlets de 1937, 1938 et 1941 : Bagatelle pour un massacre, L’école des cadavres et Les beaux draps.

Céline c’est aussi ce salaud.

Céline c’est l’auteur de Voyage au bout de la nuit, chef d’œuvre.

L’œuvre et l’origine de l’œuvre.

Y revenir avec le groupe d’auteurs de Folle Pensée.

Kafka : « Ma réponse ne vous satisfera pas. Les accusés simplement sont les plus beaux . Ce qui les rend beaux ce n’est pas d’être coupables, certainement, car — je suis bien obligé d’en convenir en tant qu’avocat — tous ne sont tout de même pas coupables. Ce n’est pas non plus la punition qui déjà les rend beaux, car tous ne sont pas punis, ce ne peut donc tenir qu’à la procédure intentée contre eux et qui les masque de quelque manière. Il est vrai que parmi les beaux accusés, il en est de particulièrement beaux. Mais beaux, ils le sont tous, même Block, ce misérable vermisseau. »
Franz Kafka. Le Procès p. 213 (trad. G-A Goldschmidt).

 17 Juin 2005