Le 17 aout 2006

École de théâtre – le lieu favorable à la création

À quelle condition l’acte de formation peut-il se déployer ? Conditions : Que l’autorité cède la place à l’hospitalité. Que du désir puisse se constituer, s’alimenter, circuler. Que de la vie passe dans chaque geste, dans chaque parole, chaque savoir. Je suis encore remué par ce que j’ai vécu ces quinze derniers jours à Brazzaville. Par l’intensité du dialogue. Par l’investissement de ces acteurs, danseurs, chanteurs dans les trajets que je leur proposais. Nous sommes passés par le Chine (En trop), le Liban (La revenante), l’Italie (Gratuit), l’Afrique du Sud (Bâtons), le monde rural (Le Cam), une cour d’école (Bonbons), la blessure (Yeux), l’adolescence (Le baiser)… Énergie, disponibilité, esprit d’invention, légèreté. L’envie en nous et entre nous de brasser des êtres, des peuples, des paysages. Dieudonné Niangouna, notre hôte attentif, nous propose de continuer de tramer nos petits mondes en décembre pendant son festival Mantsina sur scène. À bientôt les amis. J’ai fait un pas de plus. L’école. Un lacis de chemins de traverse mais ça tient. Depuis 2002, nos gestes s’articulent justement. La première fois que je parle de cette école, sauvage pour l’instant, c’est à Olivier Poivre d’Arvor.

Retrovision - 4 février 2003

Rendez-vous avec Olivier Poivre d’Arvor à l’AFAA. Il estime que le théâtre en Afrique ne décolle pas, qu’il reste empêtré dans des formes qui lui donnent peu de chances d’être vu sur les scènes européennes importantes, peu de chances de se distinguer, il constate que les nombreux stages mis sur pied par l’AFAA depuis des années ne portent pas beaucoup de fruits. Qu’est-ce qui cloche ? Comment donner du jus et de la force au théâtre africain ? Est-ce qu’il faut attaquer la question par les auteurs, par les acteurs, par les metteurs en scène ? Est-ce qu’il faut organiser un concours ?

Je développe mon point de vue : aller en Afrique pour apporter « la bonne façon de faire du théâtre » est voué à l’échec, prétendre former pose problème, un problème excitant mais dont il ne faut pas nier la complexité, apporter du « savoir » sans avouer ce qu’on vient chercher en retour pose problème. La plupart des démarches échouent parce qu’elles sont ponctuelles, qu’elles n’ont pas d’horizon, qu’elles ne sont pas construites sur des rapports d’artistes à artistes qui partagent des désirs, des démarches, des projets. Il y a des frontières à franchir dans les deux sens. Qui m’invite ? Est-ce que je suis invité par quelqu’un ? Est-ce qu’à mon tour j’inviterai cette personne, ce groupe à venir chez moi ?

Je propose à Olivier Poivre d’Arvor le concept d’hospitalité réciproque. Je crois à la transmission réciproque, à la recherche partagée. Pour que ce partage de savoirs et de pratiques puisse avoir lieu, il faut créer les conditions qui rendent cet échange (de secrets) possible. L’hospitalité réciproque c’est une façon de concevoir les rapports, de les produire ; une forme de travail fondée sur le dialogue, le don et le contre-don, l’aller et retour.

Je présente à Olivier Poivre d’Arvor ma proposition : une école internationale de théâtre qui fonctionnerait à la fois en France et en Afrique. Une école internationale de théâtre qui accueillerait en son sein des acteurs mais aussi des metteurs en scène et des auteurs. Une école internationale de théâtre qui se déplacerait chaque année dans un pays d’Afrique différent. Une école internationale de théâtre qui, à la fin de chacune de ces sessions, associerait à ses travaux et présentations publiques les artistes locaux. Une école internationale de théâtre qui serait jumelée avec une école professionnelle de théâtre en France.

Olivier Poivre d’Arvor est enthousiaste. « Voilà une proposition structurante, une vraie proposition structurante. » Il prend une carte, il nomme les pays où pourraient avoir lieu les sessions. Il fait le tour de l’Afrique francophone, cite des noms. Jean-Marc Granet-Bouffartigue nous rejoint. Olivier Poivre d’Arvor lui développe ce que je viens de lui exposer. Jean-Marc Granet-Bouffartigue approuve. Dans les jours qui ont suivi cet entretien j’ai rédigé le projet d’une école internationale de théâtre en Afrique et en France et j’ai remis le texte à Olivier Poivre d’Arvor.