Un jour d’octobre 1989, j’ai envoyé La chute de l’Ange rebelle à Jérôme Lindon, directeur des Editions de Minuit. Le lendemain, entre midi et une heure, il m’a appelé. (J’étais dans ma cuisine, dans un village perdu ; je mangeais, seul). Pendant quelques secondes, j’ai cru à une blague. Vous êtes vraiment Jérôme Lindon ? Il s’est étonné (ou a feint de s’étonner) de ma surprise : « Ne m’avez-vous pas adressé hier ce texte intitulé La chute de l’ange rebelle ? Je l’ai lu ce matin, et je vous téléphone pour vous dire le bien que j’en pense. » La chute de l’Ange rebelle est un récit à la première personne. Composé de vingt-neuf fragments numérotés, il est court : trente huit pages aérées dans l’édition des Éditions Théâtrales. Jérôme Lindon m’a vivement incité à développer ce récit, à lui donner l’ampleur d’un roman. C’est trop bref pour que je le publie tel qu’il est, m’a-t-il dit. Il a insisté sur l’importance du premier roman d’un écrivain. Il m’a expliqué qu’il ne fallait pas rater son entrée.

Je viens de lire L’Urgence et la Patience de Jean-Philippe Toussaint. Dans ce livre, Jean-Philippe Toussaint raconte le premier télégramme et le premier coup de fil reçus par lui de Jérôme Lindon. Et la suite : la publication de La Salle de bain. Et de ses autres romans. Du coup, cet échange avec l’éditeur légendaire de Beckett est remonté à ma mémoire, m’a titillé.
Pourquoi n’ai-je pas suivi le conseil de Jérôme Lindon, conseil qu’il a réitéré par écrit le lendemain ?

La chute de l’Ange rebelle est resté maigre, bref. Je n’en ai pas fait un roman.