(Trois extraits de « Anatomies 2009 - Aveux et ravissements », pièce de Roland Fichet en 5 parties. Le texte intégral est consultable sur demande par mail ici)

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Cette pièce a été créée au Centre Culturel Français de Brazzaville le 18 mars 2009 sous le titre « Anatomies 2009. Comment toucher ? ». En mars et avril 2009, ce spectacle a été représenté dans treize centres culturels français de dix pays : Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, Togo, Centrafrique, Bénin, Burkina Faso, Niger, Sénégal, Mali. Une grève de Air Sénégal nous a empêché de rejoindre Conakry. Comme pour « Anatomies 2008 » les interprètes de ce spectacle étaient des acteurs et des danseurs, congolais et français, noirs et blancs


Temps I - Regards/Étreintes
Temps II - Souffles/Peaux
Temps III - Baisers/Sangs
Temps IV - Débandades/Cris
Temps V – Transes/Prières


TEMPS I – REGARDS/ÉTREINTES


Deux femmes

A — Quand je n’ai pas envie que tu me touches tu me touches ; seulement quand je n’ai pas envie que tu me touches ; seulement quand je n’ai pas envie que tu me touches tu me touches.
Quand j’ai envie que tu me touches tu ne me touches pas.
Tout d’un coup un frisson, tout d’un coup j’ai froid, tout d’un coup j’ai une envie irrépressible d’être touchée, que tu me touches, un besoin urgent que tu me touches,
tu n’es pas là
tu n’es plus là.
Le frisson de la mort me traverse le corps, tu n’es plus là. Tu n’es jamais là quand le frisson de la mort me traverse le corps.
Le frisson du désir me traverse le corps tu n’es pas là. Tu n’es jamais là quand le frisson du désir me traverse le corps.
Je te cherche partout. Je cours dans le jardin, je crie : touche-moi. Tu es penchée sur une rose, tu ne relèves pas la tête, tu grommelles : ne me dérange pas.
B —
Je te cherche partout. Je me précipite dans la cour. Tu donnes à manger à tes poules. Je crie : touche-moi. Tu bougonnes : fous-moi la paix.
A —
Tu grommelles : ne me dérange pas. J’ai envie de te briser la nuque. Ta nuque là, à quelques centimètres de mes mains. J’invente n’importe quoi pour que tu relèves la tête, pour que tu me regardes, pour que tu me touches ;  je dis : il y a une fuite dans la salle de bain, appelle le plombier. Tu réponds : appelle-le toi-même.
B —
Oh seigneur, venez à mon secours ! N’importe quoi. Je dis n’importe quoi, la première chose qui me passe par la tête pour que tu me regardes, pour que tu me touches, je dis : la petite vient de se couper le doigt, appelle le médecin. Tu gardes les yeux rivés sur tes poules, tu ne tournes pas la tête vers moi, tu réponds : emmène-la toi-même, c’est ta fille.
A —
Tu n’as d’yeux que pour ta rose, tu ne relèves pas la tête, tu réponds : appelle-le toi-même, c’est ta salle de bain.
B —
Tu n’as d’yeux que pour tes poules, tu réponds : emmène-la toi-même c’est ta fille.
A —
Depuis deux ans, tu ne mets plus les pieds dans la salle de bain, tu as aménagé une douche dans un coin du garage. Dans la salle de bain tu ne mets plus les pieds. Dans la salle de bain, tu ne veux plus me voir nue.
J’ai envie de t’éclater la tête.
B —
Depuis deux ans tu passes ton temps à fabriquer des cages pour tes poules, des clapiers pour tes lapins et moi aussi tu m’enfermes, tu m’enfermes dans ma maison où tu n’entres plus que pour dormir. J’ai envie de t’éclater la tête.
A —
Tu me touches quand je n’ai pas envie que tu me touches, tu me touches quand tu as bu, tu me touches dans l’obscurité, en pleine nuit, quand tu as bu.
J’ai envie de t’éclater la tête
B —
Ecoute-moi bien : si tu ne me touches pas, là, tout de suite, je t’éclate la tête.
A —
Tu observes ta rose, tu continues d’observer ta rose. Tu dis : ainsi se réalisera la prophétie de ma mère : « un jour, ta femme te tuera ».
B —
Tu observes tes poules, tu continues d’observer tes poules. Tu dis : « j’ai pris une nouvelle femme, elle arrivera demain. »


TEMPS III – BAISERS/SANGS

Les acteurs/danseurs proposent des pas de danse aux spectacteurs. Ils leur chantent des strophes de la chanson DANS LA PEAU. Peut-être dénudent-ils une partie précise de leur anatomie.


- 1 –

Mon voisin Fred Pidou me touche les genoux. C’est houhou.
Ma voisine Louise Kerlo me touche les cuisses. C’est huhu.
Ma cousine Juju Nuche me touche la bouche. C’est hoho.
Mon cousin Paul Brume me touche le petit ventre. C’est hihi
Mon frère Maxime me touche les seins. C’est /
Ma tante Véronique me touche le truc. C’est /
Tout le monde me touche le paradis. C’est interdit !


TEMPS IV – DÉBANDADES/CRIS

Les acteurs/danseurs couvrent leurs visages avec leurs vêtements. Aveugles, ils tendent les mains. Idiots, ils ouvrent de grands yeux. Se souviennent leurs corps des postures des bannis, des simples d’esprit sidérés au bord des rues, dans les cours, aux carrefours. Ils se masquent, se démasquent.


Une femme

Rien de drôle, absolument rien de drôle, rends-moi mon corps. C’est tout ce que je te demande, seulement ça : rends-moi mon corps. Je suis là devant toi et je te dis : rends-moi mon corps
rends-moi sa forme
rends-moi ses courbes
rends-moi ses lignes
rends-moi son odeur
rends-moi sa saveur
rends-moi sa puissance.
Je ne te demande pas la maison, je ne te demande pas les enfants, je ne te demande pas d’argent, je te demande mon corps
INTACT
mon corps avant que tu ne le touches, mon corps avant toi, AVANT TOI, Intact.
Rends-moi mon corps.
Tu as modifié mon corps, tu l’as démoli, tu l’as reconstruit, comme une maison, comme on transforme une maison, rends-le moi. Ce n’était pas ta maison rends-le moi. Rends-moi mon corps tel qu’il était avant toi
AVANT TOI.
Mon corps ça ? Non, ce n’est pas mon corps. Rends-moi mon corps.
Mon corps ça ? Non, ce n’est pas mon corps.
Voisines, venez voir, venez voir, c’est mon corps ça ?
Non, ce n’est pas mon corps.
Si tu ne me rends pas mon corps, je te tue.