(Ce texte déroule et synthétise la fable et les enjeux de la pièce « Animal ».)

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Victor Kalonec revient en Afrique. Au volant de son pick-up blanc il entre dans la concession qu’il a abandonnée. Remis sur pied, il revient vers sa famille africaine : Willi l’albinos, Nil le bâtard, Iche la jeune amante blanche et Fricaine la compagne, la femme avec laquelle il a tout bâti. Kalonec revient chercher Willi, le chanteur. Il veut faire de Willi l’albinos-qui-chante une star, sa star africaine des nuits de Paris.

Kalonec avance dans la cour de son exploitation dévastée : BOIS PEAUX ANIMAUX. Willi est parti. Les autres, les trois qui sont restés, Fricaine en tête, ont tué tous les animaux. Ils ont construit un mur. Ce mur de briques, de squelettes, de peaux, de cadavres est une sorte de tombeau qui s’élève entre eux et la forêt. Il est bordé par un ravin.

Kalonec appelle Willi. Il ne veut pas mourir sans le chant de Willi. Le choc violent du retour de Kalonec oblige Fricaine Iche et Nil à reprendre le chemin de la parole. Une parole brisée, une parole d’après la catastrophe. Eux aussi, eux particulièrement, sont saisis et secoués par le manque que creusent en eux le départ de Willi et la mort des animaux.

Fricaine, Nil et Iche précipitent Kalonec dans le ravin. Ils tentent de se débarrasser de cette sorte de bête blanche qui les a exilés d’eux-mêmes, de faire pour de bon le deuil de cette histoire.

Ils veulent s’arracher à leur cimetière. Ils se préparent à s’enfoncer dans la forêt vers Willi, vers le fleuve. Mais ce n’est pas si facile d’éliminer le Blanc. Ni l’Animal. Kalonec remonte du ravin poursuivi par une chienne, par Chienne. Chienne et Kalonec : deux fantômes sont là qui eux aussi font partie de la famille, de la tribu errante. Pour fêter le départ, Nil dynamite le mur que vient de faire revivre Chienne. Elle a ouvert une brèche dans le visible, branché Iche sur des flux secrets.

Tout le monde maintenant roule à travers la forêt vers le fleuve. Leur parvient parfois le chant de Willi. Ils le découvrent blotti dans un hamac tendu entre deux arbres, très haut dans le ciel, au-dessus du fleuve. À quelques dizaines de mètres des berges du fleuve les bûcherons-mercenaires armés de tronçonneuses abattent la forêt arbre par arbre.

Ces êtres en déshérence ont-ils sous leurs yeux leur sauveur, leur âme, leur cible ? Dans un vacarme d’abeilles et de tronçonneuses, dans le bouleversement intime d’une nature magnifique blessée à mort, la tribu Kalonec se plonge en vain dans le fleuve. Pas de renaissance. Willi est inaccessible, séparé, insaisissable. Ne reste que le pont à franchir, le pont qui donne accès à la ville, aux portes, à l’aéroport.

Parvenus à l’aéroport Charles de Gaulle, ils cherchent refuge dans une cabine de verre, cabine téléphonique de démonstration, ultra-moderne. Ils s’y entassent. Ils échouent là, exposés dans une cabine de verre, petit précipité d’histoire. Ils sont mémoire. Ils sont présence du présent. Offerts au regard glissant d’une humanité en transit. Sidérés. Naturalisés, comme on dit des animaux immobilisés pour l’éternité.

Ces corps enchevêtrés ne sont-ils pas aussi les corps divins et sacrifiés de CEUX QUI NE SONT PAS AIMÉS ?