(Notes de répétitions rédigées par Marie-Laure Crochant, actrice du spectacle « Anatomies 2010 - Comment Toucher ? ». Tous les mots ou phrases en italique sont extraits du texte de la pièce « Comment toucher », Éditions Théâtrales, mars 2010.)

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C’est quoi un ange-gardien ?  C’est qui ? Un être de chair et d’os ? Un pur esprit ? Un double ?

Ma tête, pleine de questions aux premières lectures de ces nouvelles Anatomies. Moi, qui partais pour la droite ligne de ce que nous avions commencé en Afrique lors des Anatomies 2009.  Moi qui jouais Marilor tout simplement dans cette version l’an dernier. Moi qui disais à tous ceux qui voulaient m’entendre que « toute la mer était en moi », je pensais partir avec un peu plus d’aplomb, de certitude sur le « Comment toucher » en 2010 .

Que nenni ! Nouvelle équipe, nouveau texte, nouveau voyage, plus spirituel que géographique cette fois, métaph… Troublante sensation dans cette quête du toucher de devoir repartir sans cesse de zéro dès que le (con)texte change mais passionnante en même temps et obligeant à réinterroger tous ses (petits) acquis.

Et puis changement de statut surtout. En 2010 bizarrement, la toute petite personne que je suis est aussi  la plus ancienne de l’équipe, « l’ancêtre » comme je me surnomme,  et mon personnage, le moins incarné a priori, bien que Roland insiste dès le départ pour dire que ses anges (nous sommes 2, Laurent et moi à avoir cette fonction) sont des anges « physiques », le plus mystérieux peut être au niveau de ses enjeux.

En 2010 donc je m’appelle Swana/Lou et c’est sans doute parce que, comme mon acolyte Zo/Kris, je suis bipolaire.

Quid de Swana ? Quid de Lou ? De l’Afrique en moi c’est sûr qui reste là, bien dans mon cœur, mon corps même si oui, c’est vrai  je suis jalouse des filles qui ont un beau c

Swana la guerrière mais pourtant si craintive ; celle qui devrait protéger la belle Ariane mais qui se fait souvent couvrir par elle ; Ariane jouée par Anne-Sophie, si grande si fine si gracieuse à côté de moi.
Swana qui voit tout ; qui « polyglotte » ; qui désire. Tellement. Désire désirer, être désirée, rester en vie. Parce qu’autant, elle peut être drôle autant elle porte le tragique en elle et la conscience de la mort toujours.

D’ailleurs, elle meurt, tuée par une balle et malgré la dent protectrice de son ami Zo. C’est étrange. Mourir tous les soirs, ça aussi la première fois pour moi dans un spectacle. Le toucher tue, on le sait et pas que chez les anges.

Et puis, Lou bien sûr, c’est plus inconscient, plus intime aussi, la moitié de mon surnom, Marilou, dans la vie, la vraie, des gens que j’aime/ais.

La chanson de Gainsbourg dans mes oreilles. « Oh, ma Lou, oh ma Lou, oh Marilou ».

Là encore, touchée en plein cœur. Lou fait des claquettes pour oublier qu’elle est moins belle que les autres ? Pour ne pas tomber ou amoureuse seulement ?

Pendant les répétitions, on regarde  Les Ailes du Désir, de Wim Wenders, suis bouleversée. Les anges du film entendent les pensées, les petites voies intérieures. Ils passent et d’un contact furtif apaisent les êtres qu’ils touchent.

On s’en inspire. Ça ne marche pas à tous les coups,  Ariane meurt aussi à la fin. Carina ne retrouve pas Niang Saho.

Peut-être nos anges portent-ils aussi le fantasme des êtres qu’ils accompagnent  et avec Laurent, on a essayé de tisser une partition du sensible du début à la fin de la pièce :

– Des gestes récurrents, une main sur un coude qui glisse-glisse par exemple et c’est un événement  quand on y prête l’attention qu’il faut.

– Des yeux toujours aux aguets sur les corps et les mondes qui les entourent ; un regard qui creuse, réfléchit, dévoile ; une présence qui renvoie sans cesse leur « protégée » à leur propre désir, qui l’incarne peut être parfois comme dans cette  scène « cannibale » avec Ariane dans le champs Bororo.

Et puis, au cours du travail, les anges ont même traversé la nudité, les nudités, un vêtement  puis un autre puis plus rien, comme une expérience ultime du toucher, une recherche corporelle menée avec Katja [1], sur les moments du texte appelés « Voilements-Dévoilements » [2].

Il n’en reste pas moins que ces deux là, Swana et Zo ou Lou et Kris portent en eux le souvenir intime du face à face de leur corps mis à nu sur le plateau et ce souvenir renforce leur mission dans la pièce. Ne consiste-t-elle pas (aussi) à instiller du trouble dans le spectacle par petites touches, souvent sur les côtés de la scène ou au lointain, pour le spectateur qui laisse voyager ses yeux ?

Alors, chaque soir je pars pour une traversée physique et poétique avec ce personnage, prendre corps de plus en plus, amener de la sensualité, du désir, du/des toucher(s).

À la fin de la pièce, Zo dit : « Maintenant,  je suis un homme, je marche ».

Swana, elle, devient-elle femme ? Elle n’est plus guerrière en tout cas et meurt en robe de soie rose, légère, sa chair couverte du lait /amulette protecteur/trice donné(e) par Zo comme un ultime toucher.
« Cette nuit, j’ai appris à m‘étonner » dit l’ange joué magiquement par bruno Ganz dans Les Ailes du Désir et c’est je crois ce qu’à mon tour, je tente chaque soir dans mon interprétation de  Swana/Lou.


[1] Katja Fleg, chorégraphe et collaboratrice artistique sur le projet.
[2] coupés finalement pour garder le rythme de l’ensemble.