(Notes de Damien Gabriac, acteur et assistant à la mise en scène de « Anatomies 2010 - Comment Toucher ? », pour les interprètes du spectacle.)

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Nous sommes bêtes et monstrueux. Tout simplement. Que faire à présent ? Nous cherchons à vivre (à nous perdre, à notre âge…) dans le présent. Dans chaque chose. Chaque toucher. Nous sommes venus pour Toucher. Tout. Tout Toucher. Les voyages, la terre. Les femmes, les hommes. Rencontrer ce monde. L’Afrique, l’Europe.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Juste des gens et gestes. Des gens. Du travail. Partager du temps. Se regarder dans les yeux. Se sentir proche. Étranger. S’aimer. Voilà. S’entrechoquer. Prendre du temps. S’en donner. En perdre. Beaucoup, au nom de l’ensemble des noms. Vouloir vivre ensemble. En communauté.

Ah ah la communauté… « Nous sommes au XXIème siècle et au XXIème siècle il n’y aura que des individus… » La communauté, le temple du temps que l’on ne prend plus, que nous n’avons plus envie de prendre, de perdre, c’est comme ça. Même pas de nostalgie pour ce mot épuisé, qu’il meure, qu’on l’enterre une bonne fois pour toute. Nous aimons trop le temps aujourd’hui, à quoi bon souffrir une autre époque ? Nous avons 25 ans quoi ; et nous disons « quoi » à la fin et au milieu de nos phrases. Avant nous disions « voilà TOUT ».

Renvoyons cet ancêtre totalitaire et sa voix là, dans son jadis où la révolution était possible. Nous, nous disons « quoi » pas « voilà tout » ; car… nous ne savons plus quoi, nous n’avons plus d’armes pour nous sauver quoi. Quoi ? Retourner en guerre dans l’invisible ? Nous ne savons pas nous battre aveuglement, nous ne croyons plus. Le « tout » est mort depuis trop longtemps déjà… Voilà. Suffit qu’il n’entraine pas le « nous » dans sa chute. Nous avons encore besoin de lui ; même à l’état d’homo-individus, nous pouvons encore nous parler, nous le pensons.

Avec la parole, nous réinventerons nos âmes insurrectionnelles, il le faut. En voyageant, en se touchant, en parlant toutes les langues… Mais... Qui, nous ? Pour aller où ? Vers qui ? Et comment, quoi ? Nous, les tyrans de l’intime âgés de 25 ans en 2010, aujourd’hui nous pleurons. Un mur nouveau en face de nous. Un mur absent. Nous errons, seuls en Europe, en Afrique, et nous lançons : « C’est bon quoi, Dieu aurait-il l’amabilité de remourir ? Nous voulons tout nous aussi ! »… voilà tout.

Voilà tout quoi… la révolution. Je passe chez moi, au je(u). Le toucher existe encore dans je. Il survit en mangeant du présent dans sa grotte humide. Le « tout » mort revit en dedans. Chez. Dans le Toucher. Intimement. Dans soi. C’est tendre comme une déclaration. Et c’est bizarre, on le ressent chez l’autre aussi. C’est bizarre, on dit ça.

Avec ou sans toucher, au moins avec le mot, avec ou sans conscience, en ne pouvant/voulant/devant pas toucher, je suis tombé amoureux. De cette bizarrerie ? Je ne sais… rien. Je déclare juste mon amour à l’inconnu. Inconnu écoute-moi ! Je désire te toucher. Je pense que je préfère que cela soit chez moi. (Nom de Dieu, dans tous vos prénoms je me suis effondré...) Mais je m’égare. L’amour est interdit quand on veut faire dérailler des trains, exploser des printemps ; ce n’est pas le moment de distribuer des briquets.

J’ai décidé de consacrer ma vie au théâtre de la terreur. C’est en ça que je crois. Et au fait d’être plusieurs seuls/ensemble pour le partager. Voilà tout. Quoi ? Suis-je en train de reparler de communauté ? Non. Certainement pas, je réfute. Je m’auto-évite, une pirouette et hop, vous n’avez rien entendu, rien vu. Avant on se contredisait, aujourd’hui je me contretouche. Le toucher sans sens, comme le taxi cent-cent, c’est l’endroit où ça se touche le plus sans se toucher vraiment. Dommage. Alors…

Comment Toucher. Dans tout son spectre : de faire l’amour à tuer. J’en ai eu des envies de meurtres, pour ne pas dire que j’en ai aimé certains de ce phalanstère (je suis très pudique dit-il d’un air sans air). Ceux qui comme moi aiment à tuer, les mots et les corps, arrêtez ! car je tombe amoureux de vous, tout le temps. Et je me cache ensuite. Je suis timide, cher phalanstère, mais derrière mon chèche et ma barbe, j’aime.

J’aime les compromis, j’aime le rapport au temps flottant, j’aime les mises en scènes d’un instant, j’aime le fait que ça ne soit pas sublime, que l’on a abandonné certaines choses, comme ça, parce que… rien… justement… j’aime le manque de méthode, de tacts, j’aime les trahisons de dernières minutes, j’aime l’incompétence dans la révolution, j’aime le fait de se cacher pour boire des coups ensemble, j’aime le renfermement sur soi-même, j’aime les responsabilités non assumées, j’aime l’absence de regard, j’aime les enfantillages, j’aime le ridicule, j’aime l’obsolescence du contemporain, j’aime les ennuis profonds, j’aime les maladresses, j’aime le manque de mouvement, le manque de précision, de fluidité, j’aime l’indiscipline, j’aime la générosité forcée, j’aime les besoins narcissiques, j’aime le fait d’être livré à nous même, j’aime le manque de concret, j’aime le fait d’acheter de l’amitié, j’aime l’abstraction globale de nos enjeux, j’aime la détresse en coulisses, j’aime rassurer tous les niveaux d’engagements, dans ce projet de phalanstère, j’aime la confiance que nous nous sommes accordées. Voilà.

Voilà j’aime tout quoi. Mais j’aime surtout les corps qui disent « oui » au moment  où ils sont dans l’action pour défendre en public une fêlure écrite. Oui, le rapport au livre… à la limite, il n’y a que ça qui compte. Même si parfois nous n’y croyons plus, même si nous avons l’impression de nous mentir violemment. Le bonheur de toucher des oreilles et d’être touché par des yeux devrait suffire à rassembler le courage nécessaire ; et en plus, en lumière nous avons des mots à dire…

Dès fois le sens des phrases, les virages de rapports ne nous conviennent pas, mais bon… il y a tellement de sens dans une direction… tellement de sang… nous pouvons en perdre un peu… de temps en temps… alors… pensons ce que nous voulons. Pensons oui, désirons… nous sommes masqués. Voilés même dévoilés. Toujours. Le véritable mensonge, c’est l’abandon.

Mes chers ami(e)s, je ne jouerai pas avec vous à Paris. (Si l’ironie était faites en doux toucher, je serais très détendu…) Vous avez donné beaucoup pour ce spectacle, énormément, et rien que pour ça, Comment Toucher vaut le coup. Profitez de cette scène, de cet espace, de ce texte offert, réappropriez le vous. Mangez l’auteur, la mise en scène. Ce sont vos corps sur le plateau. C’est vous les porteurs du présent. Soyez affamés. Désespérément  enragés. C’est vous sur le front de l’écoute, des regards. Restez tout de même équilibrés, pour bien digérer. Et enfin, redoublez de maitrises, d’efforts, de précisions, de protestations, d’engagements, d’amours, car vous êtes là pour faire entendre vos êtres ici et maintenant. Aujourd’hui ce sont vos mots, vos déplacements, vos contacts.

À distance, je pense fort à vous. Je vous aime tous, dans le tragique de l’intime.

Damien Gabriac

P.S. : « J’ai eu envie/de toi/de toi envie. »  Putain de portes grillagées.