(texte écrit par Marie-Laure Crochant, actrice-danseuse dans Anatomie 2009. Comment toucher ?)

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C'est tout nouveau

Roland a beau vouloir me rassurer, « c’est tout nouveau le texte, c’est tout nouveau la forme », le fait est que ces trois corps-là, ces trois « danseurs-acteurs » là, autour de moi, Damien, Aucarré, Princia, ils ont déjà une histoire, un langage, une aisance communes.

Alors les « Toucher comment ? Avec  quel organe ? »[1]
Je suis étonnée, émue, angoissée aussi devant leur complicité, leur « fluidité » (c’est un mot qui revient souvent) ; fluidité des mouvements, des sons, inventions sonores, liberté et capacité d’improvisation énormes.
« Oh la la non mais vraiment oh la la… »

Respirer. Trouver  ma place. Ne pas douter… Ma ligne… Moi aussi, je peux je… (Re)trouver son corps, son rythme, sa façon à soi, d’être là avec eux, sa gestuelle, sa voie[x].


Je me lance

Je me lance. Peut être plus lente, plus pataude, moins gracieuse que les autres. Après tout, ça colle avec mes textes. La femme-pygmée, c’est moi.
J’observe beaucoup, je copie, je vole… La légèreté et l’humour de Damien, la grâce et le regard profond de Princia, la force et la sérénité d’Aucarré.

J’écoute beaucoup aussi les mots d’Orchy, oui, je commence à comprendre, je n'ai pas besoin de technique pour danser, pas besoin de mouvements complexes pour chorégraphier : ici on interroge moins le rapport du théâtre à la danse que celui du corps à la parole et vice-versa. Qui de la poule ou l’œuf, de la parole ou du geste, le premier ? Qui influence/impulse/initie qui ? quoi ?
« Conscience ? Quelle conscience ? Conscience de quoi ? »

À ma grande surprise et au fur et à mesure du travail, je réalise que, contre toute attente, j’ai besoin de plus en plus de partir du corps avant de dire le texte. C’est assez nouveau pour moi et plutôt jouissif.
Cette sensation est aussi liée à l’écriture de Roland, dont on apprend chaque jour à trouver l’organicité, la rythmique interne, la « profondeur humaine » comme il dirait.

Je bloque encore sur la transe, pas facile, troublant. Y'a la transe-danse et puis y'a l’autre dit Orchy, la vraie.

Ce travail pose aussi de vraies questions d’acteurs, de théâtre. Qu’est ce qu’on donne à voir de notre intime ? Jusqu’où va-t-on dans ce dévoilement ? Jusqu’où on se laisse toucher ? Quel « jeu » laisse-t-on ? Quelles limites on se donne ? Pas de personnages, juste nous ? Trouver une figure tout de même. Trouver l’écart pour que le spectateur avant tout soit touché, se fasse un voyage sensible.

Orchy qui essaie de prononcer « dis-tan-cia-tion ». Serai-je la femme pygmée à la main droite qui décoll[nn]e ? « J’ai un ancêtre coincé-coincé dans la… main ? »


Aperçu

Mais déjà tant et tant de sensations, d’images dans ma tête et mon corps. Aperçu :

• Nos 4 corps tournoyant tels des derviches tourneurs dans notre rituel du matin.
• L’odeur exquise de la peau noire de Princia.
• Le contraste extrême du corps d’Aucarré avec le mien.
• Les convulsions de Damien.
• Les fantômes et les arbres d’Orchy, 
• Les mots de Roland, « vous  êtes le paysage de celui qui parle ».
• Les retours attentifs et éclairants d’Alexandre, ses photos.
• Stanislas Nordey, Boris Charmatz, Clément  Rosset, Giuseppe Penone.
• Henri Michaux : « À 7 ans, je rêvais encore d’être agréé comme plante. »

Alors, « il faut bien que le corps exulte » dirait Brel… et il ne s’est pas gêné, dès qu’on y touche, il touche : Princia se retrouve avec un panaris énorme, Aucarré avec une vraie fausse crise de paludisme, Damien un passage nauséeux, moi des nuits blanches à répétition. Nuits blanches en vue d’Afrique noire ? Je ne sais. Qui ira verra.


[1]Extrait du texte Anatomies 2009. Comment toucher ? Ces phrases sont dites par Marie-laure Crochant dans le spectacle.