Répétitions avec les 7 acteurs de Bangui. Ludovic Mboumolomako, chorégraphe et chef de troupe, a constitué le groupe. C'est un homme très concentré, qui se sent coincé ici à Bangui. Les spectacles qu'ils créent sont accueillis par l'Alliance Française mais ils ne circulent pas. Il me dit : « Je suis au milieu du fleuve. Je t'en prie, aide-moi à traverser. »

Attention enfants furieux ! Nous venons de manger du poisson grillé au bord de l'Oubangui. Ludovic Mboumolomako, le chorégraphe-paysan est notre guide. Installée juste au bord du fleuve, Marie-Laure sort sa caméra et filme les enfants qui se baignent dans l'Oubangui. Au moment où nous nous apprêtons à partir vers l'hôtel, une heure plus tard, la bande de 7 ou 8 enfants se dresse devant nous et nous apostrophe avec véhémence. Ludovic nous avertit : « Attention, il y a un peu de danger. » Ils nous suivent, puis coupent par une transversale pour nous barrer la route. Ils se saisissent de branches d'arbres, continuent de crier leur colère. Ils parlent dans leur langue. Ludovic traduit : « Voleurs, vous nous avez filmés et vous allez nous vendre. »

Parvenu près de l'hôtel, Ludovic ôte sa cravate, prend lui aussi une branche en main et les menace. Ils disent : « Papa, nous avons faim. » Ludovic leur donne un peu d'argent. Je fais de même. Ils prennent l'argent, se détendent, nous parlons.

Le directeur de l'Alliance, Stéphane Joly est en France. Nous avons été accueillis hier par la pétulante Jessica Oublie et par le pondéré Vincent Carrière.

L'Alliance est vaste, élégante, modeste dans son architecture, bien intégrée au paysage. De très beaux espaces: médiathèque, salle d'exposition, bibliothèque pour enfants, salle de spectacle, bâtiment administratif, cafétaria… Le village et le visage de la culture française dans ce pays.

Est-ce que les Français savent que leur pays a imaginé ces foyers de culture dans toute l'Afrique ? Ce sont de petites oasis où passent des marcheurs en quête d'un peu de feu (sacré), d'un peu de folie, et d'un peu de poésie et quelquefois aussi d'un peu de liberté.

Dans tous les centres (et Alliance), il y a une jeune femme française disponible, active, compétente qui se met en quatre pour que tout se passe pour le mieux. A Pointe-Noire : Claire, à Malabo : Pauline, à Libreville : Flore, à Lomé : Marina, à Bangui : Jessica, à Cotonou : Géraldine.

Il faut chanter les louanges de ce corps d'élite : les Volontaires Internationaux.

Un centrafricain : « Des diamants, il y en a tellement ici au fond de la terre, profond, profond, que les enfants de mes enfants seront morts avant qu'on ait réussi à en remonter la moitié. »

Aucarré, Damien, notre chauffeur-joueur de football et moi mangeons dans un « maquis ». Nous sacrifions d'abord au rituel de la longue gorgée de bière qui fait tant de bien. Il fait très chaud à Bangui. Puis nous avalons avec appétit fou-fou et antilope. La patronne nous confirme qu'elle peut nous préparer du serpent mais il faut commander deux jours à l'avance. Très belle ambiance entre nous. Tous ces jours-ci, Aucarré est lumineux, il me sourit avec une douceur qui m'émeut. Il m'invite, mine de rien, jour après jour, à ouvrir, à laisser circuler en moi et dans la petite communauté que nous formons les flux de vie, les flux d'émotions, les sensations.

Dans chaque pays, nous nous imprégnons de l'atmosphère, de l'esprit de la ville où nous nous trouvons. C'est ce que je ressens en mangeant et en parlant avec mes deux compagnons.

Et cette curieuse sensation : nous sommes à l'intérieur d'Anatomies 2009. Comment toucher ? Nous vivons tant à l'intérieur de cette œuvre que nous pétrissons, que nous sculptons ensemble. Tout entre dans Anatomies 2009. De l'humain, de l'humain, de l'humain. Nous accueillons l'humain et ses paysages dans cette maison mystérieuse que nous habitons : Anatomies 2009. L'humain et son désir.

Fin d'après-midi. Le vent se lève, et voilà la pluie. En quelques minutes, il fait sombre, très sombre et il pleut. Le théâtre de verdure de l'Alliance est bien sûr un théâtre de plein air. À 17h30, Vincent Carrière, le directeur par intérim, annule la représentation, la reporte au lendemain.

« J'en avais l'intuition, je le savais, dit Damien. J'étais sûr que nous jouerions jeudi. »

À 20h, l'orage est passé. On peut de nouveau s'égayer dans la nature.

Représentation reportée, c'est Sylvain cette fois qui nous conduit dans un quartier de Bangui où il co-gère un maquis et une cave à vins. En fait de cave à vins, il n'y a ni cave ni vins (ou si peu), je dégotte quand même un petit merlot. Vincent Mambachaka qui nous a rejoint ne crache pas dessus. Papythio nous présente son cousin, avocat. (Papythio a fait ses études primaires et une partie de ses études secondaires à Bangui.)

Mambachaka dispose ses quatre téléphones devant lui. Chapeau de paille et téléphones.