Hervé, notre chauffeur (qui en pince pour Princia) nous conduit dans un vaste maquis où nous mangeons en plein-air et dans la nuit. Juste quelques petites ampoules de couleur disposées tout autour de la baraque où se mijote la cuisine. Ici le « délestage » ne surprend personne, c'est l'ordinaire. Nous célébrons plus amplement l'anniversaire de Marie-Laure. Une vague de tendresse nous envahit et nous fait sourire béatement sous les étoiles et sous la lune. Marie-Laure rayonne. Je regarde la lune, je regarde Marie-Laure, si blanche dans cette foule de Noirs. Qui éclaire qui ? Les humains sont la nourriture de la lune. C'est Marie-Laure ce soir qui nourrit la lune.

Dans la nuit. Damien et moi poursuivons notre conversation artistique et humaine. Nous sommes engagés depuis le petit déjeuner du 24 mars à Libreville dans une conversation-méditation qui court entre nous au hasard des moments de repos, des repas, des déambulations, des stations dans les aéroports.

Damien me parle d'Aucarré, de sa présence, de son sens du théâtre et de la danse.

Damien et Aucarré se nourrissent l'un l'autre. Ils jonglent, ils dribblent, ils jouent avec les figures de la vie, ils ne cessent de se passer la balle-mystère, si légère, si vive, qu'on n'est jamais sûr de l'avoir tenue entre les mains où de l'avoir vue passer.

Régulièrement passe Stanislas. Hop, tout d'un coup, au coin d'une phrase, Damien évoque une des figures de son maître.

Je réunis les acteurs à la cafétaria de l'Alliance. Nous revenons sur la représentation de Lomé. Nous passons en revue le spectacle scène par scène. Chacun participe à la discussion. Nous avons l'intuition qu'un souffle plus puissant peut soulever le spectacle du début à la fin. Aucarré peut « lancer » avec plus de force la scène dite « scène de la transe. » Il le sent. Aucarré apporte au spectacle la grâce de la danse. Il nourrit les autres de cette grâce. La dernière partie est de plus en plus prégnante. La façon dont nous avons fait évoluer le groupe d'acteurs du pays porte ses fruits. Il y a là un moment de tremblement, d'étonnement qui met tout le public dans un drôle d'état.

7 avril 2009