Couverture du livre « Terres promises » de Roland Fichet, éditions Théâtrales

(in Revue "Galad", mai 1988, article sur la résidence à la Chartreuse ayant donné naissance à la pièce "Terres Promises")

J'attendais de cette résidence un déplacement ; qu'elle me permette de sortir d'un univers pour aller dans un autre. Ça, je l'ai trouvé. Ce déplacement-là produit un élargissement de mon champ imaginaire. Mon espace mental s'est modifié à cause du lieu et de la situation. Écrire en même temps que d'autres et à côté d'eux propose une ouverture, une nouvelle liberté dans la façon de s'emparer des mots, des structures d'écriture, des formes, des sensations. Des portes en moi se sont ouvertes ; de nouveaux espaces que j'avais entrevus mais pas déterminés. Un passage de seuil, pour entrer dans la matière même de l'écriture dramatique de façon différente. Depuis huit ans, je suis lié à une équipe de comédiens en Bretagne, "le théâtre de Folle Pensée". Ici, j'en suis séparé. La stimulation fonctionne à partir des frottements des écritures et des auteurs et non pas du rapport avec les acteurs. Quatre mois de résidence permettent de rentrer dans une intimité.
Ça, c'est une sacrée surprise.

Un ancien monastère, ses caractéristiques, les gens qui l'animent suscitent des directions et produisent une envie de sortir du quotidien y compris dans l'écriture. Ce qui compte pour moi, c'est la façon de marcher : de faire le voyage plus que de se poser sans cesse la question de la destination. Travailler quatre mois ici est une bonne façon de continuer mon voyage d'auteur dramatique. Le théâtre est un lieu de rencontres inhabituelles ; c'est précisément ce qu'il faut faire jaillir sur scène. La Chartreuse est un lieu majeur de rencontres inhabituelles. Là où il n'y a plus de place pour le "jeu", de l'espace libre. ici, on se bat pour que le jeu reste ouvert, pour empêcher que le système ne se referme à cause d'un calendrier obsédant.
Cette résidence a un peu la figure de la prison favorable et je jouis de me considérer prisonnier. C'est une position dans laquelle je me sens protégé. Les cellules. C'est un mot de prison. Il est important, ce mot-là. Si on le change en "appartement", c'est fini. Cellules autour d'un cloître. On y rentre selon un rite que l'on retrouve pour sortir. Toutes nos fenêtres s'ouvrent sur des cours fermées. Ici, la lumière, le soleil, les paysages sont particuliers. C'est neuf pour moi. J'ai découvert les plaisirs de la promenade en solitaire.
Le génie du lieu. C'est ce que procure à la fois la cellule préservatrice et le carrefour, lieu de rencontres inhabituelles.