De retour de Brazzaville mon réel me tourmente. Par où prendre le théâtre ? Par où prendre la littérature ? Par où prendre « la splendeur de l’être » puisqu’il semble bien que mes contemporains auteurs n’envisagent leur salut (d’écrivains) que dans la noirceur de l’être ? En allant chez les Noirs ? Je blague et cependant je ne peux nier que je vois là-bas des êtres, quelque chose de l’être, que je ne vois pas ici. Dans mes cahiers de 2003 des notes éparses. Je reviens sur les étapes de mon errance africaine. Exercice de retrovision.

27 avril au 1er juin 2003 : Cotonou, Ouagadougou, Niamey, Cotonou, Douala, Yaoundé, Batié.

Sur le chemin de l’Afrique, à la recherche d’un autre réel. Dans chaque ville, je rencontre des acteurs, des metteurs en scène, des auteurs. Je mets en place des ateliers, des moments d’échange, des discussions, des repas en commun. À Cotonou, je passe quatre jours dans la maison/école de Tog Bin, édifiée par Alougbine Dine au bord de l’océan. J’y réuni une vingtaine d’acteurs. Nous lisons des textes. J’ai amené avec moi Intérieur/Extérieur de Dieudonné Niangouna, des pièces de Kouam Tawa dont Le dit du prétoire, ma mosaïque de pièces et morceaux ultra-courts Petits Chaos et Fenêtres et Fantômes. Nous lisons aussi quelques scènes d’une pièce de Ousmane Aledji : Les signes de la cora. C’est le début d’un long périple et d’un dialogue qui va se ramifier, se déployer du Bénin au Burkina Faso, du Burkina Faso au Niger, du Niger au Cameroun.

J’ai loué les services d’un chauffeur de taxi, Pierre Ahoudjinou. Nous roulons tous les deux dans sa Toyota, nous traversons villes et villages (la marchande de fromages rouges de Parakou !). Nous nous enfonçons en douceur dans le paysage et la rumeur africaine. Au Niger, à Niamey, c’est Alfred Dogbé qui m’accueille, au Cameroun Kouam Tawa. Avec Kouam, Alfred, Ousmane, j’évoque les créations croisées de pièces d’auteurs africains et français que j’envisage pour début 2004. Je leur commande des pièces, des pièces d’environ une demi-heure.

J’invite Alfred et Kouam à venir résider à Saint-Brieuc pendant les mois de décembre 2003 et janvier 2004. C’est à ce moment-là que nous mettrons en répétition les Pièces d’Identités à la Passerelle. Ça leur plaît. Alfred me dit qu’il souhaite depuis longtemps voir travailler d’autres metteurs en scène. Je ne connais pas encore Dieudonné Niangouna. C’est Michelle Robert qui juste avant de partir m’a passé Intérieur/Extérieur. À Ouagadougou, les acteurs sont éberlués de découvrir sa langue fougueuse, son audace, son goût pour la perturbation. Il perturbe aussi bien la syntaxe que les métaphores, la fable (et tout et tout et tout… pour répondre une de ses expressions favorites !). Et fait surgir des mondes crevassés, caillassés, défigurés. En rentrant, nous nous rencontrons à Paris, je lui commande une pièce.