(Article rédigé par Fabienne Lacouture, professeur de français à Quimper. Publié dans le Journal de Folle Pensée, n°5, Mars 1998)

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Les Petites comédies rurales sont fondées sur une mécanique implacable dont le ressort comique réside dans la surprise de la chute qui renverse la situation de façon brutale et inattendue. Ainsi il arrive que le prétexte comique s’achève sur un événement tragique. De même, il arrive que la tragédie se brise dans un lyrisme diffus et délicat, réécrite par un autre mécanisme implacable : celui du sentiment humain. Dans les Petites comédies rurales le réel est saisi de façon fragmentaire, au travers de la multiplication des silhouettes puisées dans le tissu légendaire du quotidien.
Liés par des thématiques récurrentes, les dialogues tracent les maux — petits et grands — les obsessions, les aspirations, la mythologie du monde rural : la prise en compte du progrès, la présence superstitieuse de la mort dans le quotidien, l’alcoolisme, la hiérarchisation sociale et l’importance des titres, l’école libre, le mariage, la morbidité.


Instincts

Thème privilégié parmi les autres, le désir et la frustration qu’ il entraîne quand il n’est pas satisfait tisse la continuité, en filigrane, des Petites comédies rurales. Force instinctive, proprement animale, elle commande l’action, bouleverse les destinées individuelles. La vibration intérieure du désir —faute de mots pour le dire, contrariée par un bon sens qui révèle ses limites — libère la puissance de l’instinct qui s’exerce de façon unilatérale, porteuse de mort.
Somme toute, tout est affaire de négociation — qualité première du paysan — dans les Petites comédies rurales. Quand la parole ne s’échange plus et que la négociation se déroule de façon insatisfaite, l’instinct de mort devient la seule action possible, le seul dénouement tolérable. La comédie se mue en tragédie. Ainsi en est-il de la femme Kerlo, obstinée dans son refus face aux propositions de l’homme Pichard. Divertie par le cidre qu’il lui sert, elle perd la négociation puis la vie. Ainsi en est-il aussi d’Aline Kieffer, la conseillère municipale déléguée à l’écologie — lorraine de surcroît — figée dans son rationalisme face aux affirmations poétiques de Pierre Pidou. Ainsi en est-il encore de Pauline Gal, obsédée par le désir de marier sa fille avec un Crochemort de Carnoët, qui meurt d’une vengeance ancienne qui s’est reportée sur les « fesses maigres » de sa fille, Élise.
La nature, rude par essence, reprend tous ses droits.


Mémoire

Le temps qui règne, c’est le temps intérieur qui immobilise le monde rural dans une façon d’être et de penser. Temps de la mémoire d’où surgissent des figures familières : le secrétaire de mairie, le maire, l’instituteur, le père et ses fils, la mère et ses filles, les pétroleuses des dimanches de fête foraine, l’ivrogne du comptoir qui raconte ses hauts faits surnaturels, l’idiot du village.
Lieux de mémoire, les Petites comédies rurales creusent dans le fonds légendaire des fables, où réalisme et fantaisie se côtoient. Le surnaturel y prend les visages familiers du quotidien. Le bon sens s’y délite dans le surnaturel.
C’est tout l’imaginaire de la terre qui y est convoqué.