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(article de Laurent Cazanave, membre du LAMA, pour le dossier «Constellation Folle Pensé », publié en février 2014 sur mouvement.net)

Le réel c'est ce qui nous traverse, nous travaille. L'imaginaire c'est ce qui nous trompe.

Ces mots résonnent dans la petite bibliothèque. Il est 14h ce 18 octobre 2006.

Lui est assis au milieu d'eux. Lui est un habitué de ce lieu. Il y est déjà venu et il reviendra, il le sait. Eux sont débutants dans cet exercice qu’il leur apporte. Il sort un petit carnet et une pochette à stylo. Eux le regardent et l'écoutent. Lui aime les bibliothèques. Ici on parle de mots. Les mots permettent souvent de ne pas faire la chose. Les mots sont le meurtre de la chose. Eux ne savent pas encore s’ils aiment les bibliothèques. Lui ne sait pas s’ils aiment tuer les actes par les mots. Ils sont tous autour de cette grande table rectangulaire qui bientôt explosera pour laisser la place à une ronde de chaises plus pratique pour se voir et s'entendre lire.

Au milieu d'eux il y a l'enfant ou plutôt l'adolescent. Un petit gars juste sorti de l'enfance. Il ne le sait pas encore ce 18 octobre 2006 mais il écrira. Le petit gars écoute LUI. Le petit gars note ce que LUI dit. Noyé dans un flot de mots, dans cette autoroute sonore et verbale, il saisit chaque mot et les fait se rencontrer. Un carambolage de mots.

LUI regarde ces jeunes gens écrire. LUI aussi écrit. LUI écrit sur l'Afrique, sur les rencontres, sur deux femmes. LUI lit aussi son écrit. LUI est comme eux. LUI se fixe les mêmes contraintes.

L’adolescent, le petit gars absorbe ce qu'il peut de ce que LUI dit et bercé, ferme les yeux.

L’adolescent ouvre les yeux. La bibliothèque a changé. LUI aussi. Eux sont moins nombreux. La pièce plus étroite, plus sombre. EUX divisés par deux. LUI écoute le texte de l'adolescent qui ne ressemble plus autant à un adolescent. C'est EUX qui lisent. L'adolescent, petit gars écoute toujours. LUI prend des notes. En haut de la page LUI a noté 18 OCTOBRE 2008

La lecture se termine. L'air est dense, les gorges sèches. Personne ne veut parler. Personne n'ose relever les yeux du manuscrit. Ca parle de mort, d'enfant mort. C'est dur à entendre et à lire. C’est dur à écrire. Mais l'adolescent l'a fait. LUI prend la parole et parle de structure, d'atmosphère. LUI décortique le texte, la syntaxe, le choix des mots. Il ne sait pas encore qu’il écrira une préface pour ce texte lorsque l’adolescent osera l’imprimer.

L'adolescent note et ferme les yeux

L’adolescent ouvre de nouveaux les yeux. Il n'est plus un adolescent en ce 18 octobre 2013. Plus du tout. Il écrit toujours. Au-dessus de sa tête accrochée au mur blanc une affiche. Une main faite de mots. Des milliers de mots comme des tendons font mouvoir la main. Parmi ces mots son nom d'adolescent et le nom de LUI

Leur spectacle anatomie 2010 comment toucher ?

Comment toucher.

Tout de même, tout de même tout. Traverser ensemble la France et le Congo. Une quête identitaire sur la scène et en dehors. Spectacle de sortie d'école. Ensemble. LUI auteur metteur en scène Roland Fichet. L'adolescent Laurent Cazanave acteur ce qu'il est. Un acteur écrivant. Une autre collaboration entre LUI et l'adolescent. Dire des mots ou les écrire. Des mots comme les autres. Matière de travail. Penché sur son ordinateur l'adolescent qui n'en est plus un, tape sur le clavier. A sa gauche une bibliothèque plus petite juste quelques étagères pas une salle entière. Mais quand même c'est déjà ça se dit-il. C’est à côté d'une bibliothèque, près des livres que les mots sortent. Peut-être, il ne sait pas. Il se promet de le demander à LUI. Oui voilà lorsque le prochain texte sera écrit, il le lui enverra accompagné d'un petit papier avec cette phrase. « Les mots naissent-ils mieux près des livres ? » Dans l’enveloppe soigneusement fermée un post-it jaune et ce texte « Tous les enfants veulent faire comme des grands »

En haut du texte de l'adolescent, au-dessus du titre un nom d'animal LAMA. Rien à voir avec le camélidé domestique d'Amérique du sud qui peut vivre entre 10 et 20 ans. Non c'est une chance. La chance pour l’ex adolescent. Un groupe d'« écrivants ». Pas un groupe d'écrivains. Non. Des acteurs, des écrivains, des metteurs en scène. Des passionnés d'écriture réunis ensemble pour écrire, se lire et s'écouter autour de LUI. Une communauté comme LUI dit. L'adolescent a fini d'écrire son texte. L’adolescent prend une enveloppe. Il ferme les yeux.

Un clignement de cils.

L’adolescent est devant un nouveau texte : SUZANNE. A côté le texte de LUI : SUZANNE. Ce nom est important pour l'adolescent. Nom de famille, mais aussi premier texte de LUI qu'il a lu justement parce qu’il portait ce titre, ce nom. La Suzanne de l’adolescent et la Suzanne de LUI se font face. A qui l'adolescent rend-il hommage ? A sa SUZANNE et à LUI. Oui c'est possible. L'adolescent ferme les yeux.

A des kilomètres de là, à St Brieuc, LUI boit son thé devant sa table de travail. Il a du courrier, une lettre venant de Paris. Il déchire le papier et ouvre l'enveloppe.

« Tous les enfants veulent faire comme des grands » et un post-it.

Les mots naissent-ils mieux près des livres ?

LUI sourit et ferme les yeux