©DR

(article de Hakim Bah, membre du LAMA, pour le dossier «Constellation Folle Pensé », publié en février 2014 sur mouvement.net)

« Cette odeur pas une porcherie un îlot de bonne odeur animale Je le dis comme je la sens à plein nez primitive un îlot de bonne odeur humaine »

La première rencontre. Ma première rencontre avec lui (Roland Fichet) est la rencontre d’un texte (Massacre dans le Bronx).

Ce court texte, par la force de la langue, du rythme, du souffle m’a tout de suite happé, frappé, secoué, bousculé... Et a (tout de suite) commencé à me questionner sur la forme (cette nouvelle forme), la langue (cette nouvelle langue), le rythme (ce nouveau rythme), le souffle (ce nouveau souffle) que je venais de découvrir. Et (tout de suite) la question de la forme, de la langue, du rythme, du souffle s’est imposée en moi. Et le questionnement s’est poursuivi, s’est intensifié en découvrant d’autres pièces de Roland (Petites comédies rurales et Micropièces).

Loin de m’imaginer que. C’est vrai (à ce moment-là) j’étais loin de m’imaginer (en découvrant ses premiers mots) que quelque mois plus tard il (Roland) animerait un atelier d’écriture dramatique auquel je participerais.

Du 15 Novembre au 6 Décembre 2010, le Centre culturel Franco – Guinéen organisera à Conakry sous sa direction un atelier d’écriture dramatique pour six jeunes auteurs dramatiques Guinéens. Un deuxième volet de l’atelier se tiendra du 26 avril au 13 mai 2011.

Il (Roland) arrive à Conakry sur fond de tension politique. Alpha Condé venait (le jour même) d’être proclamé victorieux des élections présidentielles. Le pays retenait son souffle en attendant le verdict de la Cour suprême censé confirmer (ou infirmer) la victoire d’Alpha condé violemment contestée par les partisans de son rival l’ex-premier ministre Cellou Dalein Diallo. Sur fond de divisions ethniques, des heurts se produisaient dans différents quartiers de Conakry. Dans ce climat de fragilité, d’instabilité on se débrouillait comme on pouvait pour ne pas rater les ateliers. Et on (Peuls, Malinkés, Soussous) était là. Tous les jours. Ensemble. Unis par le travail. Malgré les divisions ethniques perceptibles dans tout le pays.

Cet atelier a été (pour moi) le déclencheur d’une autre écriture. D’une autre façon d’écrire. D’une autre façon de percevoir l’écriture. De la langue dans l’écriture. Ça a permis à mon écriture de vibrer autrement.

Toucher du doigt l’intouchable. Nommer l’innommable.

Là oui oui j’ai appris à nommer. Nommer les choses. Même si c’est difficile à nommer. A toucher. Appris à toucher. Même si c’est difficile à toucher.

Pour. Permettre à la chose de se tenir debout. Même si c’est difficile de la tenir debout.

Et. Comprendre. Sentir.

Comment ça parle. Comment ça dialogue. Comment ça s’articule. Dans la phrase. Dans le dialogue. Dans…

Apprivoiser la fabrique de la langue à partir de différents matériaux, en questionnant, en interrogeant la langue dans le but de voir, d’entendre, de toucher, de palper.

Où comment et pourquoi ça frémit. Où comment et pourquoi ça tremble. Où comment et pourquoi ça vibre. Où comment et pourquoi ça tempête. Où comment et pourquoi ça bruisse

Pour finalement savoir.

Où comment et pourquoi ça fait écho. Où comment et pourquoi ça fait langue. Où comment et pourquoi ça fait fable. Où comment et pourquoi la fable fait théâtre. Où comment et pourquoi s’entrechoquent la langue et la fable pour que ça fasse théâtre.

Souvent (ou presque) on allait aussi à la rencontre. Non. Plutôt à la découverte d’autres écritures (Philippe Minyana, Noëlle Renaude, Rodrigo Garcia, Samuel Beckett, Paul Claudel, Bernard-Marie Koltés, Jean-Luc Lagarce, Haruki Murakami…). Et ces découvertes nourrissaient nos propres écritures.

A tâtons (quelque fois), le texte prenait forme. A tâtons (quelque fois) le texte commençait à se tenir debout et/ou se tenait carrément debout.

En se questionnant se re-questionnant.

A quel endroit ça peut mieux se dire ? A quel endroit ça peut mieux s’entendre ? A quel endroit ça peut mieux respirer ?...

Tout ça pour dénicher là où ça se cache. Le petit secret. « Au théâtre on partage des secrets » disait Roland souvent.

Quand on tient le petit secret on touche le fond des choses et quand on touche le fond des choses on peut savoir et/ou entendre exactement comment ça ronfle comment ça vrombit le corps du fond de l’âme.

L’atelier m’a permis d’écrire une première version du texte Sur la pelouse ainsi que des Micropièces sur ma vie, des fragments sur moi-même qui ont été mis en lecture par Roland Fichet le 13Mai 2011 à Conakry à l’occasion du festival Jour de théâtre à Conakry.La pièce Sur la pelouse a été retravaillée, créée et présentée à la 7e édition des Résidences panafricaines de créations et de diffusions théâtrales au Burkina Faso.

Suite à cet atelier, Roland Fichet m’a fait une commande de texte dans le cadre du projet Portraits avec paysage initié et piloté par le Théâtre Folle Pensée. Aller à la rencontre d’une autre personne que je ne connaissais pas  pour tenter de pénétrer son monde, creuser son être et en faire un texte m’a (tout de suite) intéressé.

Ainsi, dans le cadre de ce projet (Portraits avec paysage) j’ai fait un voyage avec Roland Fichet sur les sentiers de mon enfance. Il voulait toucher du doigt ce que je lui racontais dans mes textes. « Les mots ont besoin des pieds » (m’a-t-il dit) pour se tenir debout. 

Pendant plus de trois jours « nous avons pérégriné » dans le Fouta Djallon à la recherche de comment toucher ?  Nous avons « frôlé l’invisible » quelque fois (et souvent d’ailleurs) et, marcher sur les traces des grand Almamys en quête des derniers ossements de la défunte histoire du Fouta théocratique.

Le texte intitulé le Cadavre dans l’œil (édité dans un même volume que Sur la pelouse dans la collection TARMAC chez Lansman) qui découlera de cette commande sera lu à la 13e édition du festival Regards Croisés à Grenoble, à la 30e édition des Francophonies en Limousin à Limoges et a été diffusé sur le site de Radio France Internationale. La création est prévue en Octobre 2014 à Conakry.

Et depuis, j’ai gardé une collaboration très étroite avec Roland Fichet et Folle Pensée. Je participe au LAMA. Et. Souvent je passe à Saint-Brieuc pour découvrir des auteurs, des écritures, des nouvelles approches d’écritures. Et. Souvent des livres me sont offerts pour prolonger la découverte. 

Hier soir (18 Novembre 2013), à Saint-Brieuc j’ai écouté (à l’occasion des Lundis en Carmelie organisé par Folle Pensée) Christian Prigent nous décrire précisément comment il écrit ses livres. Il nous a ouvert ses portes et nous a transportés dans son laboratoire. Ça a permis de voir, d’entrer (un peu) dans les secrets de ce poète, de cet écrivain. Ce type de rencontre secoue forcément un auteur (jeune de surcroit). C’est riche profond et ça enrichit.