Garance Dor ©Samuel Fichet

(article de Garance Dor, membre du LAMA, pour le dossier «Constellation Folle Pensé », publié en février 2014 sur mouvement.net)

Roland Fichet avec sa compagnie m’a invitée il y a dix ans maintenant à venir lire, échanger, travailler, écrire autour d’un noyau de jeunes gens qu’il avait comme moi conviés. Ces temps de partages, de résidences et de frictions étaient vifs et vivifiants. Un projet est né, les Pièces d’identité. Il s’agissait de révéler, finalement, l’identité d’une possible relève d’auteurs en France, l’identité de jeunes artistes à qui Roland faisait confiance. Un ainé, un pair (père) qui vous fait de la place, vous laisse la place. C’est assez rare pour être dit. Roland a eu cette générosité et ce bon sens de dire que nous existions et qu’il nous fallait un espace de création. Cet espace de création est allé de la recherche, des temps de résidence jusqu’à l’organisation d’évènements en public, des temps de monstration, de visibilité, le tout porté financièrement par Folle Pensée. Il y avait bien sur un cahier des charges, des contraintes, le protocole de l’ensemble était géré par Roland et nous disputions bien sur ce protocole, moi particulièrement, arguant de nos nécessités artistiques. Il y a eu des disputes et de grands moments de joie, en tout cas ça bouillonnait. Plus tard Roland a aussi été coproducteur de certains de nos travaux. Pour moi il a coproduit Nouvelle Vague et Rivage que j’ai montés avec la compagnie leprojetcollectif à la Ménagerie de Verre en 2007. Mettre des sous dessus c’était dire ça vaut le coup, je t’aide, je suis là. D’autres compagnies m’ont aidé et ont coproduit, la compagnie de Wajdi Mouawad, celle de Stanislas Nordey. Ce parrainage de compagnies subventionnées et conventionnées ont permis à ma compagnie, non reconnue institutionnellement (c’est à dire non abreuvée de fonds publics) de faire vivre un projet et de continuer ma recherche.

Roland est fidèle, il nous rappelle et nous repropose des nouveaux projets. Moi je suis toujours dans la subversion et le détournement face à la demande et aux propositions de Roland, ça doit l’agacer, mais c’est mon mode de réponse possible, toujours un peu à côté de ce qu’on attend de moi. Mais Roland accueille avec bienveillance mes digressions. Il a des commandes précises, la dernière en date étaient les Portraits avec paysage ; écrire un portrait d’un breton, plus précisément d’un habitant de Saint-Brieuc. Moi j’ai écrit le portrait d’un mort. Première transgression. Et puis le portrait d’un mort même pas breton. Seconde grosse transgression ! Mais j’ai écrit un portrait, avec paysage. Roland n’a pas choisi de le monter, d’autres textes l’ont été. Du coup je me suis réappropriée mon texte, je l’ai mis à l’épreuve au SKITE, la plateforme de recherche générée par Jean-Marc Adolphe. Ça aussi c’est un espace de recherche, un vrai. Chez Jean-Marc c’est l’anarchie, bien plus qu’à Folle Pensée où on est dans la structuration des évènements et leur cadrage. Roland pense tout, il anticipe, il prévoit, il encadre. Jean-Marc improvise et laisse les cartes dans les mains des présents. Au SKITE l’espace, l’œuvre, c’est ce que tu en fais. Ça peut ne pas exister. Ça peut être totalement fracassant. Pour moi qui n’ai pas connu mai 68, mon mai 68 c’est le SKITE, un espace des possibles où tout s’ouvre, où il est interdit d’interdire.

Au SKITE comme à Folle Pensée il y ceci de commun : rassembler des artistes (plutôt jeunes) et leur donner les moyens de faire, de créer. C’est assez rare. Je veux dire à ma connaissance ça n’a jamais lieu ailleurs. Quand on est un jeune artiste (et même si on devient vieux à force), on a besoin de place, de soutien, d’espace pour penser et montrer notre pensée en action. Ces espaces de recherches et de productions, hors des institutions qui, elles, n’accueillent les jeunes artistes que s’ils montent du Shakespeare ou du Marivaux, sont plus que précieux. Les directeurs de théâtre ne prennent aucun risque. La DRAC ne prend aucun risque. Les éditeurs de théâtre ne prennent aucun risque. Il faut être rentable avant même d’exister. Il faut être diffusé avant d’avoir créé. Et tu ne peux pas être édité si tu n’es pas joué.

Folle Pensée comme le SKITE proposent, ont proposé, à des artistes comme moi une subversion à la logique économique actuelle. Des espaces d’air, des bulles dans ce paysage où chacun protège ce qu’il a et où les pères, les ainés, la génération à la tête des structures ne fait aucune place aux nouveaux arrivants. Folle Pensée est un lieu d’hospitalité. Tout comme le SKITE.