(article de Damien Gabriac, membre du LAMA, pour le dossier «Constellation Folle Pensé », publié en février 2014 sur mouvement.net)
J’ai commencé mon aventure avec la compagnie Folle Pensée comme
spectateur. C’était en 2003, je venais de rentrer à l’école du TNB
dirigée par Stanislas Nordey, et nous assistions avec toute notre
promotion (spectacle obligatoire) à l’aventure des Pièces d’identités.
Une série de pièces plus ou moins longues, jouées du matin au soir,
avec des textes, des acteurs et metteurs en scène de différents
horizons. Je me souviens très bien de cette journée, comme une orgie de
mots, de couleurs, de sensations, d’appréciations, de théâtre. Lors du
dernier spectacle de la journée, j’étais assis devant un bonhomme aux
cheveux blancs, très attentif aux réactions des spectateurs, mais
surtout absorbant tout ce qui ce passait sur scène, c’était Roland
Fichet.
La deuxième rencontre s’est faite au cours de cette école, et de là est
né mon amour pour l’écriture. En deux semaines j’ai écrit une pièce, Carton rouge,
le matin j’étais au bistrot retranscrivant quelques paroles volées,
l’après-midi nous écrivions, le soir nous lisions ensemble, la nuit nous
ne dormions pas, et le matin j’étais au bistrot pour écrire à nouveau. A
l’issue de ce stage, en 2006, Roland m’a proposé d’intégrer Folle
Pensée… comme acteur. Bon, on ne peut pas tout avoir tout de suite.
Pendant 6 mois avec une actrice de l’école de Rennes, Flora Diguet, nous avons travaillé sur les Micropièces
de Roland, et monté un spectacle transportable dans le coffre d’une
voiture. Nous avons sillonné la Bretagne, de salles des fêtes en bars,
en passant par des halls, et des granges. L’aventure avec Folle Pensée
se poursuivra en 2008, avec Anatomies, en Afrique, à
Brazzaville plus exactement, avec des danseurs et acteurs autochtones :
Stick, Princia, Okaré, Bib, Destinée, ainsi que Flora, Marie-Laure
Crochant et moi. Roland Fichet et Orchi Nzaba le chorégraphe ont
construit un spectacle dans lequel la danse et le texte, le corps et la
langue sont intimement liés. Nudités des mots, et bruits des corps, qui
se touchent, s’évitent, se frappent, se voilent. Ce fut représenté dans
Brazzaville, chez l’habitant, où pour la première fois, comme acteur,
j’ai eu… peur, car la foule enthousiaste et nombreuse couvrait parfois
le bruit des avions qui décollent. C’est au cours d’une escapade à Mati,
un village à quarante kilomètres de Brazzaville, que Roland me parla
pour la première fois de son projet Portrait avec paysages, j’y reviendrai.
Anatomies 2008 fut recrée à Saint-Brieuc à la Passerelle, avec Monique Lucas et Jeanne François, les actrices régulières de Folle Pensée. L’Anatomies
suivant, 2009, c’est entre Saint-Brieuc et Brazzaville que nous l’avons
créé, et tourné dans une dizaine de pays d’Afrique. Je crois la période
qui regroupe chez moi le plus de souvenirs, de sensations, d’êtres
vivants. Et enfin, en 2010, au TNB, à Rennes, Roland écrivit la pièce
censée conclure cette folle épopée : Comment toucher.
L’histoire d’un groupe de jeunes personnes en Afrique, entre révolution
et prédication, sensualité et affront. J’étais devenu assistant à la
mise en scène pour le coup.
Portrait avec paysages. La commande, faite à plusieurs auteurs,
français et africains et océaniens, et américains est la suivante :
faire le portrait d’une personne qu’on ne connaît pas. Contraintes : il
faut d’abord écrire un protocole de rencontre avec cette personne, et en
rendre compte à la compagnie Folle Pensée avant qu’elle donne son feu
vert, cela doit être une texte pour un seul acteur ou actrice, 1 heure
maximum.
Internet. Mon protocole de rencontre, ce sera les sites de rencontres. A
une époque où l’on rencontre plus de personnes – qu’on ne rencontre
jamais – que de personnes qu’on rencontre « vraiment », je ne me voyais
pas écrire avec un autre postulat de départ ; je suis très branché, au
sens électronique du terme. Protocole validé. De là est née la pièce : Le point de Godwin.
« Une pièce d’amour cruelle ». Un flash-forward entre Robert Antelme et
Marguerite Duras. Le portrait d’une femme qui rencontre son propre
auteur. C’est autant une pièce sur l’écriture, une recherche autour des
nouvelles formes de langages, qu’une pièce à la narration classique,
évoquant la rencontre d’un être avec un autre, aussi fulgurante
soit-elle ; une pièce d’une espèce de tendresse, jusqu’à, la douleur.
C’est avec Jeanne François et Mohand Azzoug que je mettrais en scène ce
texte, avec pour particularité de travailler avec un graphiste, Vincent
Menu, considérant que la multitude de signes visuels offerts par
Internet doit exister sur la scène d’une manière ou d’une autre. Il faut
des images, des formes, et du son aussi, beaucoup de sons, l’écriture
sur internet c’est le tonnerre. Nous avons joué à Saint-Brieuc, Nancy,
Morlaix, Dunkerque, et au festival d’Avignon 2011. Petit à petit
d’autres portraits d’autres auteurs, naissent, celui d’Olivia Duschene
(qui sera joué dans la même soirée que le mien), celui de Nicolas
Richard, de Marie Dilasser, d’Alexandre Koutchevsky (encore en écriture à
l’heure où j’écris ces mots), et tous les autres. Le projet de Roland
Fichet étant d’avoir sous la main plusieurs portraits venant d’autres
mains que la sienne, et de faire des soirées ou journées où ils sont
joués, regroupés, opposés, discutés, absorbés, réunis, re-présentés.
La grande force-folie de Folle Pensée et de Roland Fichet c’est ça,
réunir des auteurs, dans le but, tout simplement, de faire exister au
mieux leurs textes devant du public. Plusieurs fois au cours du
processus d’écriture des Portraits avec paysages nous nous
sommes retrouvés, à Saint-Brieuc, les auteurs, pour lire, discuter,
parler de notre travail, de nos désirs, écrire, critiquer, corriger, il
existe même un blog (fermé) dans lequel nous intervenons pour faire part
des dernières avancées ou reculades de nos textes ; un blog dans lequel
nous partageons nos doutes d’auteurs, nos interrogations sur les autres
textes, spectacles, et parfois juste on dit comment on va en ce moment.
Je pense d’ailleurs que tout ce que j’ai à dire sur Godwin, et toute sa
construction théorique et inconsciente, figure dans ce blog. C’est une
auteure, Marine Bachelot, de la compagnie Lumière d’Août (encore un
collectif d’auteurs existant grâce à Folle Pensée) qui m’a dit, dans ce
blog, de couper les 12 dernières pages de mon portrait, et de manière si
argumentée que… je l’ai fait…
Ma première aventure avec Folle pensée : les Pièces d’identités
est une réunion de différents textes de différents auteurs, la suivante
: une réunion du texte et du corps de l’Afrique et de la France. Depuis
l’école, depuis 10 ans, je suis entouré d’auteurs liés à Folle Pensée,
nous écrivons tous, seul, mais toujours ensemble, et chacun est poussé
non pas à faire bien, mais à faire jusqu’au bout son geste et à le
partager, Roland Fichet pousse la maladie singulière de chacun dans les
mots qu’il pose, et accompagne délicatement la transmission à l’autre.
Aujourd’hui ce sont les LAMA, un groupe d’une vingtaine de
mini-portraiteurs (une page) de Bretons qui se retrouvent pour écrire et
partager leurs langues. Je sais qu’avant, il y eut les Récits de naissances,
auquel participaient des auteurs comme Jean-Luc Lagarce, Noëlle Renaude
ou Rodrigo Garcia. Tous ces gens que Roland Fichet a réuni, tous ces
auteurs qui un jour ce sont regroupés à Folle Pensée, à Saint-Brieuc, un
peu comme dans un bastion de la résistance, pour promouvoir l’écriture
contemporaine, et aider les auteurs, à écrire leur singularité. Je suis
reconnaissant aussi à Roland Fichet pour ses textes : Quoi l’amour, Animal, Aimer tuer, pour n’en citer que trois. Des pièces qui m’ont marqué, et m’accompagnent dans mon travail.
Depuis j’ai écrit une autre pièce, en 2013, Box Office, qui a
été mise en scène par Thomas Jolly, et j’en écris actuellement une autre
; je suis auteur, merci Roland Fichet, merci Folle Pensée.