Nicolas Richard © Samuel Fichet

(article de Nicolas Richard, membre du LAMA, pour le dossier «Constellation Folle Pensé », publié en février 2014 sur mouvement.net)

Mes deux pièces écrites pour Folle Pensée, dans le cadre de commandes initiées et conçues par Roland, ont marqué une étape dans mon parcours d’écriture. Fragilité du capital, parce que c’était la première et que j’y découvrais mes obsessions, installait et confirmait un rapport à la langue. J’espère ne pas me perdre d’ici ce soir, parce que l’expérience de l’écriture a été indémêlable d’une rencontre humaine forte. La commande Portraits avec Paysage proposait de faire le portait d’un ou d’une habitante de Saint-Brieuc. Dans ce cadre, j’ai rencontré Madeleine, une femme d’une soixantaine d’années, sur le point de quitter Saint-Brieuc, de tout laisser derrière elle pour partir vivre en Espagne. Elle organisait en quelque sorte sa propre disparition. 

Ce qui me frappe dans le processus de ces commandes c’est le rapport au temps : comment tout ça a pris le temps de murir, parce que c’est à la fois rare et luxueux aujourd’hui. Avec J’espère ne pas me perdre d’ici ce soir j’ai eu la chance de pouvoir prendre le temps de chercher la forme adéquate, l’échappée vers la fiction à partir de la rencontre avec Madeleine. Le texte mis en scène par Agathe Bosch et interprété par Monique Lucas a toute cette dimension humaine enregistrée en lui sans en être dépendant.

Dans Pièces d’identité et Portraits avec Paysage, les conditions de circulation et de partage de la parole autour des textes sont presque aussi importantes et stimulantes que l’écriture en elle-même. Sont inclus dans la commande, le temps des expérimentations et des recherches, le temps des réécritures… Du coup, la marge de liberté est immense, et il est aisé de trouver à l’intérieur du cadre ses propres contraintes et nécessités intimes. Quand je réponds à la proposition de Portraits avec paysage en 2010 je réponds à une commande initiée et conçue par un auteur, et en ce sens c’est quand même complètement différent que de répondre à une commande initiée par un metteur en scène. L’auteur qui commande un texte à un autre auteur veut pour lui le maximum de liberté et de nécessité. Je sais qu’il va y avoir des lectures, un chantier, voire plusieurs, que je vais rencontrer d’autres auteurs, bref que l’aventure est collective mais surtout que j’ai la plus grande liberté pour « lâcher les chiens » dans toutes les directions, pour expérimenter par l’écriture tout ce que le processus déclenche en moi.

Sans doute parce qu’il est auteur et qu’il connaît et sait à quoi carbure un auteur, les propositions de Roland ont été particulièrement stimulantes pour moi. À chaque fois j’ai eu l’impression d’avoir été au bout de quelque chose, d’avoir épuisé les potentialités que la commande avait déclenchées en moi. Ce fut des expériences d’écritures fortes, dans mon rapport à la langue, et à la forme que je recherchais.