Mathieu Montanier © DR

(article de Mathieu Montanier, membre du LAMA, pour le dossier «Constellation Folle Pensé », publié en février 2014 sur mouvement.net)

Je ne sais pas si je suis un acteur qui écrit, ou un auteur qui joue. J’ai souvent considéré mon rapport au plateau en tant qu’acteur, comme une démarche d’écriture. Et je sais que ma rencontre avec Roland Fichet a été déterminante dans cette « posture ». Non seulement il a été l’une de mes plus enrichissantes rencontres faites lorsque j’étais à l’École de la Comédie de Saint-Etienne, non seulement il a été le premier à me proposer un projet à ma sortie d’école, non seulement c’est par son intermédiaire que j’ai rencontré beaucoup des personnes avec lesquelles j’ai travaillé par la suite (dont Éléonore Weber, Frédéric Fisbach, et même Dieudonné Niangouna), mais surtout il a fait naître et entretenu chez moi le désir d’écrire, sans jamais le nommer, et d’une certaine façon, de comprendre mon travail d’acteur au plateau, comme la nécessité de faire entendre une parole singulière, aujourd’hui, en lien constant avec ce qui traverse nos sociétés contemporaines. Je dis « sans jamais le nommer » parce qu’au cours de nos échanges, il n’a, oui, sans que nous ne le nommions jamais, toujours été question que de cela, de transmission.

Je l’ai rencontré au cours des ateliers d’écriture qu’il animait à l’École de la Comédie de Saint-Etienne, en 1998 et 1999, puis j’ai travaillé à ses côtés, lors des différents projets avec sa compagnie, le Théâtre de Folle-Pensée (les Naissances en 2001, puis Pièces d’Identités en 2004), ainsi que pour la création d’Animal, sa pièce mise en scène par Frédéric Fisbach en 2005. Et c’est avec une grande joie que j’ai rejoint le groupe du L.A.M.A. (Laboratoire Auteurs Metteurs-en-scène Acteurs) l’été 2013.

Au cours de chacune de ces expériences, j’ai pu observer son indéfectible curiosité, la générosité de son écoute, et la patience avec laquelle il pouvait recevoir la parole des artistes avec lesquels il engageait un dialogue.

Il est aussi l’une des premières personnes à m’avoir fait comprendre que la poésie et/ou les idées n’appartenaient pas seulement aux auteur(e)s, que la pensée et/ou la responsabilité n’appartenaient pas seulement aux metteur(se)s en scène, que l’intuition et/ou l’adaptabilité n’appartenaient pas seulement aux acteurs et aux actrices. Il m’a fait comprendre que tout cela peut et doit circuler, et que pour que cela circule, il faut (même si ça paraît aller de soi…) que les artistes se rencontrent !

L’un des plus grands mensonges actuels consiste à nous laisser accepter l’idée que les artistes sont comme des marques de fabrique plus ou moins « respectables », plus ou moins « reconnus », plus ou moins « tendance », et que pour être distingués, pour « exister » dans le « paysage culturel », nous devons consentir à être catégorisés, classés, séparés, nous devons entrer, puis appartenir à des « familles », nous devons au bout du compte consentir à accepter, comme une nécessité à tout processus de création, la solitude. « Maintenir cette solitude et maintenir la terreur qui l’entoure est un objectif constant de l’idéologie dominante. Cet enfermement est garant de l’ordre établi, où toute voix solitaire aspire bien plus à être entendue qu’à faire entendre quelque chose. »

Si je peux considérer qu’il n’a pas aussi fréquemment été entendu qu’il aurait dû l’être (sans doute pour une part parce qu’il est moins animé par son ambition personnelle que par le désir de voir se réaliser des projets liés à ses convictions), je peux dire que Roland a quelque chose à voir, par les enthousiasmes qu’il a générés, par les rencontres qu’il a suscitées, avec un nombre incalculable de projets qui ont vu le jour ces trentes dernières années, même si son nom n’y figurait pas. À ce titre, je peux dire que oui, s’il n’est pas toujours entendu pour lui-même, il fait entendre quelque chose.

Voilà pourquoi Roland Fichet est, à mes yeux, un des hommes les plus précieux et importants pour le Théâtre aujourd’hui, toutes générations, toutes fonctions, toutes « familles » confondues. Il m’est difficile de dire quelque chose de lui sans parler de gratitude. Et c’est bien la moindre des choses, lorsque quelqu’un vous transmet ce qui finalement anime votre vie, que d’en ressentir un minimum, et de, parfois, le dire.

 

1. Éléonore Weber et Patricia Allio, « Symptôme et Proposition », 2008.