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Sans tuer les femmes on ne peut pas garder le pouvoir. En 2003, j’ai écrit Ne t’endors pas, le récit d’une flagellation sur un terrain de foot en Afrique. En 2005, j’ai commencé un récit-pour-le-théâtre auquel j’ai donné ce titre : Sans tuer on ne peut pas. Sans tuer le pouvoir des hommes ne peut pas tenir. Les femmes sont le combustible de ce pouvoir ancestral.

Pourquoi me suis-je risqué sur ce terrain ? Qu’est-ce qui m’y a poussé avec une telle force ? Sont-ce les échanges que j’ai eus avec des hommes et des femmes au Niger, au Tchad, au Cameroun, en Guinée, au Congo, au Sénégal ? N’est-ce pas plutôt le Morbihan ? Dans ce Morbihan sylvestre où je suis né, toute mon enfance j’ai été inquiété par la brutalité des hommes.

Au cours de mes séjours en Afrique, des scènes où l’autorité patriarcale se déployait dans toute son innocence ont réveillé mon inquiétude. En 2004, j’ai fini Ne t’endors pas (premier titre : Terrain de foot) dans une petite chambre à Niamey. Ensuite j’ai écrit Sans tuer on ne peut pas, Noires, Comment toucher ?, Anatomies 2008 et Anatomies 2009, Aimer Tuer.

En ce moment, j’ai sous les yeux, nous avons tous sous les yeux des lapidations, des flagellations à Gao, Aguelhok, Asango, Tombouctou...
Le corps des femmes est le champ de bataille. Le corps des femmes dresse les uns contre les autres des hommes, des femmes, des foules, des armées de part le monde.

En ce moment, j’ai sous les yeux, nous avons sous les yeux, les seins des Femen. Les femmes en lutte pour la liberté font aujourd’hui de leur corps exhibé et tagué une arme. Quelle puissance ! Quelle efficacité ! Les Femen, les Pussy Riot, Momoiro Guerilla, Aliaa Magda Elmahdy, les mariées maculées de Xi'an en Chine, La Saint-Valentin / Fête du vagin en Inde, les Amérindiennes d'Idle No More au Canada... tous les jours des femmes, des groupes de femme, des mouvements de femmes, désignent le corps des femmes comme le topos incandescent de l'époque.

Depuis septembre 2011, je tente de m'approcher de ce topos, de dessiner une carte des zones sensibles, des circuits praticables pour moi, de traduire des états de corps, de tramer des histoires. J'ai donné pour titre à mon chantier : L'Occupation des Corps. Je me suis compliqué la tâche en attaquant le monstre avec deux filets différents : le roman et le théâtre. Je passe de l'un à l'autre. J'espère que les deux champs d'écriture vont se nourrir réciproquement. Pour l'instant, ce continuel va-et-vient a surtout pour résultat de retarder la progression de l'un et de l'autre.

Le lundi 21 janvier, j'ai lu une trentaine de pages de L'Occupation des Corps (version théâtre) devant quatre-vingt personnes à la Villa Carmélie (Saint-Brieuc). A la suite de cette lecture, je me suis dit : « Mon bonhomme, ton sujet est beaucoup plus fort que ça, beaucoup plus fort que ce que tu en fais ».