Couverture du livre « Plage de la Libération » de Roland Fichet, éditions Théâtrales

(écrit par René Loyon,, metteur en scène de "Plage de Libération", concernant le texte "Plage de la Libération", janvier 1987)

 

Il y a des mots qui sonnent dru. L'Histoire - notre mémoire donc - est ponctuée de ces mots-là. Surgis d'on ne sait quelle bouche (comme es slogans d'une manifestation de rue), ils s'imposent à l'imagination de tous par leur force d'évocation, leur propension à saisir le mouvement de la vie, à mêler l'histoire de tous et celle de chacun. Condensation d'espoirs et de souffrances, d'utopie et de tragédie, les mots-clés, les mots-éponges, s'égrènent étrangement au long des siècles. Renaissance, lumières, révolution, restauration, commune, grand guerre, occupation, résistance... disent l'interminable poème de l'aventure humaine, la difficulté d'être dans un monde dont le sens ne cesse de s'échapper.

Libération fait partie de ces mots-poèmes. Il dit la formidable exaltation de la liberté retrouvée, la fin de la tyrannie, l'espoir d'une vie nouvelle délivrée de toutes les oppressions ; mais aussi la souffrance de quatre années de privations, le poids de l'angoisse, de la peur et de la trahison.

J'aime que Roland Fichet, déjouant les pièges de la commémoration héroïque - mais peut-être pour mieux approcher les mystères de l'héroïsme - ait d'abord songé pour écrire sa pièce, avant l'indispensable compilation des livres et des événements, à sonder, les entrailles du mot. Il l'a pris sans vergogne, l'a regardé d'un oeil froid, avec ce brin de désinvolture propre à ceux qui se méfient des monuments par trop solennels, l'a retourné dans tous les sens, l'a nourri des souvenirs de quelques grands mythes littéraires (Antigone, bien sûr...) et puis il l'a fait sonner aux oreilles des gens de sa région des Côtes-du-Nord. Pour entendre ; et pour voir comment depuis quarante ans le mot avait fait son chemin dans les consciences.

Il est revenu de cette plongée dans la mémoire plein de ces récits, petites et grandes épopées, qui font encore aujourd'hui l'arrière-plan mythique de nos vies. Il a été frappé par les faits d'armes, les actes de courage, mais aussi par les silences, les interdits, les confusions, les rancœurs que le mot provoque. Il a découvert quelles étranges passerelles s'étaient établies d'une guerre à une autre, d'une génération à une autre, d'une idée à une autre. Rouges et bancs, collaboration et résistance, nationalisme breton, guerre d'Algérie, communisme et gaullisme, tout se mêle dans un écheveau singulier où rien ni personne n'est jamais oublié ; tant il est vrai que ce qu'on appelle la mémoire collective est fait de la grande comme des petites histoires.
Ce sont aujourd'hui ces visions multiples, ces personnages incertains, qui nourrissent son texte et l'histoire toute contemporaine qu'il nous raconte.

C'est ce que j'aime dans son travail. C'est ce que j'aime au théâtre. Je me souviens qu'en 1976, quand avec Yannik Kokkos nous fondions le Théâtre Je/Ils, nous voulions nous inspirer d'une certaine conception du théâtre qui était celle d'Arthur Adamov ;
"Il faut que le théâtre, disait celui-ci, se trouve contraint de se situer toujours aux confins de la vie dite individuelle et de la vie collective. Tout ce qui ne relie pas l'homme à ses propres fantômes, et cela dans une époque donnée, et, elle, non fantomatique, n'a pas le moindre intérêt, ni philosophique, ni artistique."

En mettant en scène ce texte de Roland Fichet, il me semble que je suis toujours fidèle à Adamov.