(Extrait de « La prière des Vache », pièce inédite de Roland Fichet. Scène 1 et scène 3)


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Les Chaos du Gouët - Saint-Julien - Chemin des Prétoquis - Gros rochers.
Raph Loc / Lily Beg


R. Loc
.— Ça va pas de m'engueuler comme ça
pas venu ici
pas venu ici pas venu ici
pour me faire engueuler. Oh mollo Lily.

L. Beg.— Oui ou non tu m'avais promis de te retenir, te retenir tu comprends ce que ça veut dire, te retenir ! Grr ! Ne pas éjaculer, connard. Me voilà bien. Dis-le que tu es un connard.

R. Loc.— D'habitude

L. Beg.— Quoi d'habitude ?

R. Loc.— On ne peut pas tout le temps Lily.

L. Beg.— On peut ou on ne peut pas, on ne prend pas de risques, on dit pas je peux alors qu'on ne peut pas. Tu ne peux pas te retenir tu mets une capote, c'est simple. Tu dis pas : "Moi, pas de problème, quand je veux pas j'éjacule pas." Tu dis pas ça.
Que tu es un connard ça tu peux le dire. Dis-le que tu es un connard, dis-le connard.

R. Loc.— Lily

L. Beg.— Ferme-là.

R. Loc.— Lily

L. Beg.— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu me touches ? Tu oses me toucher. Dis-le que tu es un connard.

R. Loc.— Je suis un connard. Pardon.

L. Beg.— Faut être fêlée, faire confiance à un minuscule comme toi faut être fêlée je suis fêlée ding ! ding ! Si je me retrouve avec un polichinelle dans le tiroir merde.

R. Loc.— C'est moche ce que tu dis Lily moche moche moche. Faire l'amour

L. Beg.— Quoi ?

R. Loc.— Faire l'amour Lily

L. Beg.— J'espère que tu ne le fais pas exprès d'employer un mot qui t'échappe complètement. Tout t'échappe, Raphaël. Maintenant dégage.

R. Loc.— Lily Beg, si j'étais une brute je te casserais la gueule.

L. Beg.— Tu es bien pire qu'une brute : tu es un salaud, Raph Loc. Casse-moi la gueule, ce sera parfait. La totale.

R. Loc.— Parle plus bas, il y a deux types qui viennent d'arriver.

L. Beg.— Ils tombent bien. Je vais leur demander ce qu'ils pensent d'un type qui après m'avoir tirée comme une lapine parle de me casser la gueule. Ouh la c'est Jean-Marie Le Guyader et Blaise Kergus.


Le long du Gouët

Jean-Marie Le Guyader / Blaise Kergus
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Lily Beg et Raph Loc planqués derrière des rochers

J-M Le Guyader.— Preuve est faite mon petit Blaise que Dieu n'existe pas.
Je te lui ai monté un de ces manèges. Dansez jeunesse!
C'est tout à fait mimi ici non ? tu trouves pas ? mignon tout plein. Et à l'abri des oreilles indiscrètes, tranquille.
S'il existait ça lui aurait pas plu.

B. Kergus.— Ne blasphème pas, Jean-Marie. Que Dieu toujours miséricordieux nous accorde pardon, absolution et rémission de nos péchés. Qu'est-ce qu'i s'passe Jean-Marie ? Qu'est-ce qu'i s'passe ?

J-M Le Guyader.— Ce qu'i s'passe mon petit Blaise ? je vais te le dire ce qu'i s'passe, une belle entourloupe, pas de la bricole, motus hein parce-que là, mon vieux, une parole de trop ... Je jongle, je joue gros, très gros, une parole de trop je plonge ... Si je plongeais je ne serais pas le seul, tu me suis ?

B. Kergus.— Tu peux compter sur moi, Jean-Marie.

J-M Le Guyader.— Déjà sous cellophane la barbaque mon petit Blaise, la vache tuée, découpée, débitée des oreilles à la queue, on s'est tapé le boulot cette nuit, toute la nuit sans débander, ma femme, Charles mon frère et bibi. Maintenant faut fourguer la bidoche aux moines et vite ! Dès que ce sera fait je me sentirai mieux.

B. Kergus.— Tu peux compter sur moi, Jean-Marie. Les moines c'est une bonne idée hein Jean-Marie ?

J-M Le Guyader.— T'as branché ton oncle ?

B. Kergus.— Ça marche, Jean-Marie, ça marche. Le Père Emile, l'économe de l'Abbaye, attend la livraison cet après-midi. C'était une bonne vache hein Jean-Marie ?

J-M Le Guyader.— Tout est chez mon frère Charles, le boucher, à Rohan.
Si c'était une bonne vache ? Je te crois. La meilleure. Une Holstein. Six mille cinq cent litres de lait par an. Je l'aimais ma Safrane. Douce, large, un pis comme ça, un pis de nourrice bretonne.

B. Kergus.— Une telle bonne vache sans vergogne, une pareille bonne vache ça donne de la bonne viande hein Jean-Marie ?

J-M Le Guyader.— Blaise, une vache comme Safrane même quand elle tremble ça produit de la viande extra, tu peux être tranquille. Qu'est-ce que c'est que ton histoire de vergogne ? Ça veut dire quoi vergogne ? Parle français Blaise.

B. Kergus.— Je te fais confiance, Jean-Marie. Quand même tu ne devrais pas dire que Dieu n'existe pas, on ne sait jamais.

J-M Le Guyader.— Manque de magnésium c'est tout. Elle manquait de magnésium cette vache. Une vache qui manque de magnésium tremble, c'est réglé comme du papier à musique. Ils vont se régaler les moines. Depuis qu'ils ont mis de la viande dans leur assiette ils sont plus fringants c'est ton oncle qui le dit.

B. Kergus.— Tout change. Les moines mangent du boeuf et les vaches du mouton.

J-M Le Guyader.— De la farine de carcasse de mouton ! De la fariine de carcasseu de mouton. Elles en ont mangé mais elles n'en mangent plus. Blaise, c'est de l'histoire ancienne, révolue. Là-dessus on se calme s'il vous plaît. Chez nous les vaches broutent de l'herbe, chez les anglais peut-être qu'elles mangent du mouton mais chez nous non. Chez nous elles broutent de l'herbe, elles brouteueu de l'herbeu verteu
pas bleue ni rouge ok ?
Comment est-ce qu'elles mangeraient du mouton on n'a pas de moutons.
T'entends pas des voix, toi ? Blaise, t'entends rien ?
Qu'est-ce qu'i t'prend ?

B. Kergus.— Je me sens comme des palpitations, là. Ça doit être le manque de magnésium, moi aussi. Toutes ces turpitudes anglaises ! L'idée de broyer les cadavres humains, chair et squelette, pour en faire de la farine pour les bêtes hein cette idée-là, non mais tu te rappelles cette idée, pourtant quelqu'un l'a eue, et nous on l'écoutait, épatés.

J-M Le Guyader.— Tu t'embarques dans des mots et des phrases ça fait frissonner. Turpitudes ! Où t'as pris un mot pareil ? Tais-toi, Blaise, sinon ils vont te foutre en tôle.

B. Kergus.— Mais Jean-Marie, toi-même tu m'as expliqué que tous ces cadavres ...

J-M Le Guyader.— Oublie tout ça Blaise, maintenant on est pour l'herbe à fond, le maïs, le foin ... Herbivores ! des vaches herbivores ! tu entends : herbivores !

B. Kergus.— Ta Safrane, Jean-Marie, elle tremblait beaucoup ?

J-M Le Guyader.— J'ai l'oreille gauche qui siffle, c'est agaçant. C'est de ta faute. Turpitudes !
Herbivores !
Pour trembler elle tremblait ; elle ne tenait plus debout, toujours affalée, elle tombait sur les genoux et paf ! écroulée.

B. Kergus.— Spongieuse quoi.

J-M Le Guyader.— Spongieuse faut croire.

B. Kergus.— Les moines à ton avis, Jean-Marie, les moines i risquent pas de devenir spongieux ?

J-M Le Guyader.— Ça dépend de Dieu puisque d'après toi il existe, à chacun son boulot. C'est une maladie pour moines la maladie de Jakob. S'ils chopent la maladie, les moines, on saura à quoi s'en tenir. Ces types ne se reproduisent pas, de ce côté-là c'est un moindre mal. Population rêvée pour un test. On va garder un oeil sur eux, toi et moi.

B. Kergus.— Et mon oncle ?

J-m Le Guyader.— Il est solide comme un chêne ton oncle, tu seras mort avant lui.

B. Kergus.— Moi je n'en mangerai pas de cette bidoche.

J-m Le Guyader.— Pourquoi t'en mangerais ? t'es pas moine ! Je vais pas mettre ma fille dans le lit d'un moine quand même, manquerait plus que ça. Cette viande on la réserve aux moines, personne d'autre n'y touche. Allez, exécution, faut qu'elle soit livrée cet après-midi.

 

[...]

 

- 3 -

Zoo de Trégomeur. Pont des chèvres du Mexique
Elise Lintauf / Paul Jalus


E. Lintauf.— De la mourde d'couchon paltout suu les tchuisses.
D'la pourcherie houp là
D'la pourcherie houp là hop
Du haut du toâ du haut du toâ du haut du haut houp là hop
D'la mourde d'cochon paltout suu les tchuisses
Du haut du taô d'la pourcherie suu le foumier d'en bas.
D'en haut suu le foumier il s'écrabouse fin frais bouseux vlan vla mourdeux tout paltout
ben mourdeux
ben mourdeux jusqu'au fourchon.

P. Jalus.— T'en as vu, toi, Elise, déjà, des feux d'artifice sur un lac ?

E. Lintauf.— Bien embousé i bousge plus i respire plus.
L'est mort ? Neuna neuna l'est pas mort.

P. Jalus.— C'est rare.

E. Lintauf.— Dans le fourmier i respire plus, mort j'me dis, neuna neuna pas mort, couchon ! couchon ! j'li dis, mourdeux suu la bouche mourdeux tu pues.
Ben rigolé.

P. Jalus.— Ça m'emporte moi les feux d'artifice, ça m'emballe.

E. Lintauf.— C'est plein con les feux d'artifisse. T'es plouc Paul Jalus, plouc ! Le saut hein du toâ d'la pourcherie, hein, allez, on y va, trououillard, t'as d'la vigoure dans l'chou ou rien ? A cheva entre mie et croûte, rien dans la culotte. Allez, le rouâ des feux d'artifisse t'es p'tit piteux on dirait. Pouasse ! Ce Hervé Maurin. Pouasse ! la Soazig Cogrelou.

P. Jalus.— Ma cousine ...

E. Lintauf. -  Taille ! taille ! on s'efface.


Zoo de Trégomeur toujours.
Hervé Maurin / Frère Hubert


H. Maurin
.— J'ai eu vent de ton petit trafic de vaches folles de ton trafic j'ai eu vent merde, Hubert merde

Fr. Hubert.— T'as grossi toi. Quand on batifolait dans les foins comme dit Madame de Sévigné t'étais plus mince, plus svelte. Non, je me trompe ?

H. Maurin.— Me fatigue pas, Hubert. Tes combines avec Jean-Marie Le Guyader, t'es fou ou inconscient ? Hubert merde.

Fr. Hubert.— Je suis blanc comme le Saint Suaire.

H. Maurin.— Ta mère est paralysée, ton père amputé des deux jambes, ton frère handicapé mental et tu trouves rien de mieux pour occuper ton bel esprit que d'empoisonner une abbaye, Hubert merde.

Fr. Hubert.— Tu gâches nos retrouvailles, Hervé

H. Maurin.— Soazig Cogrelou ...

Fr. Hubert.— Je ne touche pas aux filles ! Encore moins aux vaches.

H. Maurin.— Hubert merde.

Fr. Hubert.— Ton histoire de vache folle une histoire à dormir debout. Ta Soazig Cogrelou elle aime se faire mousser. Qu'est-ce qui n'va pas Hervé ?

H. Maurin.— Moi, j'me plains pas, ma vie elle est, j'me plains pas, pépère, service militaire terminé quand j'étais jeune ...

Fr. Hubert.— Ta jeunesse je l'ai illuminée, Hervé Ne sois pas démodé, je t'en prie.
Ni trop rustique.
Trêve de bêtises, tu divagues mon vieux, les vaches folles c'est le dernier truc qu'ils ont trouvé pour relancer les céréales, la salade et pour emmerder les anglais. Abattre des populations entières c'est devenu une sorte de sport. Cette fois-ci ça tombe sur les vaches. Tu as même quelques cheveux blancs, attention, ne te néglige pas.

H. Maurin.— Tous, dans ton abbaye, c'est c'qu'elle dit, vous allez vous mettre à trembler, tomber sur les genoux, vous affaler dans les cloîtres et les jardins, elle dit ça, Hubert merde.

Fr. Hubert.— Je suis un moine honnête, Hervé, j'aime les choses simples et j'aspire à la vie éternelle.

H. Maurin.— Dis Hubert j'te cause, Hubert, Soazig Cogrelou ma Soaze t'y touches ?

Fr. Hubert.— On ne se méfie jamais assez des anges, mon cher Hervé. Ne sois pas si pudique, tu en fais une tête, je ne vais pas te violer. La cruauté du monde s'exerce aujourd'hui sur les vaches, sur qui s'exercera-t-elle demain ? Je vais t'initier bientôt à la vraie religion en marche, c'est notre renaissance qui approche, pas le contraire, notre renaissance.

H. Maurin.— Le sang des vaches coule Hubert merde.

[...]