Couverture de la revue Les Cahiers de Prospero 5

(Article écrit par Roland Fichet, publié dans Prospero N°5, Traces, Juillet 1995, au sujet de « Philoctète » de Heiner Müller, mis en scène par Eric Vigner à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc le 12 novembre 1994.)


Des images de guerre, sur un voile.
Une pluie drue. Une ruine comme dernier cri. Des poutres. Un âtre éteint. Un cheval. Un vautour (tué d'une flèche par Philoctète). Un pied pourri. Les poulies pour manœuvrer ce pied pourri. Grandes théâtralité de ce pied pourri, de cette dérision physique.
Un arc (quel arc !). Trois Grecs. L'exécution du dernier héros (du dernier homme) rejeté depuis longtemps loin de tout.
Ulysse et Néoptolème débarquent, l'exécutent, le récupèrent.
Ruses, détournements, manipulations : Ulysse !
Le dernier retournement : l'utilisation du corps mort de Philoctète.
Image puissante : le tapis roulant sur lequel marche Néoptolème portant sur son dos Philoctète mort.
Héroïsme et ruse jouant à cache-cache et quelquefois se tenant la main.
Le maquillage. La politique.
Fendant la pièce de Heiner Müller, en plein milieu, un INTERMÈDE de Matthias Langhoff et Laurence Calame.
La guerre : cadre des défoulements les plus monstrueux, meurtres, viols, pillages, horreurs en tous genres.
Les héros grecs recyclés dans la férocité. Détails. Le militaire en campagne se livre avec ivresse à ses instincts les plus bestiaux.
Achille et Penthésilée, Patrocle, Ajax...
Quelle santé ce Matthias Langhoff !
Une actrice noire (Irène Tassembedo) nous sert cet INTERMÈDE avec une belle santé elle aussi.
L'héroïsme retourné comme un gant. Déconstruit.
Politique et théâtre : Heiner Müller et Matthias Langhoff mettent le paquet. ça marque.
Un texte auquel se heurte devant nous le corps d'un acteur en lutte avec une langue qu'il maîtrise mal (Amiran Amiranaschvili - Ulysse). Pertes parfois. Irritation. Éloignement.
Intense matérialité et formes épiques.
L'un (la matérialité) n'englue-t-il pas l'autre (épique) à certains moments ?

(...) l'épisode le plus célèbre sans doute, et le plus lourd de conséquences, est en relation avec la mort de Patrocle. Un  beau matin, le ieutenant, complètement ivre en sortant de la tente d'Achille, vêtu seulement de la veste militaire de celui-ci, se masturbait d'une main en titubant dans une tranchée, et de l'autre, se mit à frapper les soldats à cause de leur lâcheté face à l'ennemi, exigeant très sérieusement que dix hommes se déshabillent, s'unissent les uns aux autres et les uns sur les autres, de façon à représenter un cheval sur lequel il ferait le tour de la ville. C'est alors qu'un caporal lui enfonça sa dague dans le dos (...)
Matthias Langhoff et Laurence Calame, Intermède, Éditions Ombres, T.N.B.