Couverture du livre Petites comédies rurales

(Texte intégral de « Mon Combat », pièce courte de Roland Fichet, publiée in Petites comédies rurales, Éditions Théâtrales, Janvier 1998.)

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Un homme. – Les petites heures du matin oui
les petites heures du matin je supporte
même bien.
Après j’y coupe pas vient la torture
mon corps
me torture.
Ça monte lentement
inéluctablement
je suis envahi.
J’aime les petites heures du matin et les rugosités du mur
de pierre contre lequel je m’assieds,
je contemple ce monde que Dieu a raté
ça m’émeut,
je me sens un peu humide
presque vivant.
La douce palpitation de la nature qui s’ébroue
l’énergie des chenilles et des limaces qui reprennent la route…
Le bonheur !
Les petites heures du matin oui
les petites heures du matin j’en jouis…
Après c’est une autre ronde
un autre tremblement
mon corps
chauffe.
Dès dix heures gorge en feu
le corps aride
pas une larme
sec.
J’ai soif.
Je meurs de soif.
La machine se met en branle
s’emballe
je pense de plus en plus vite
Je me tords comme un malade
ça me lessive m’épuise
je ne peux plus m’empêcher de penser.
Ma tête une usine à pensées
tout mon corps une usine à pensées.
Ne pense plus ne pense plus !
Impossible !
Y a pas de bouton pour couper le son et l’image
tout stopper net
pour interrompre le flux
le flux
le flux sauvages des pensées.
Coupez !
Coupez !
J’ai soif.
je meurs de soif
Soif
Soif
Soif.
Cette vie que je vis c’est pas la mienne
c’est celle d’un autre
Il y a eu vol
substitution
erreur
on m’a estampillé par erreur : homme du XXème siècle.
Je suis étranger
étranger
à ce siècle.
Ne pense plus ne pense plus !
J’ai soif.
Je meurs de soif.
Évanouies depuis longtemps les petites heures du matin
dissoutes
dans l’alcool
il est midi
je gis
je gis contre le mur de mon jardin
ivre mort
mort.
Je me suis ruiné à l’alcool de pomme
brûlé à la gnole
ô douceur…
ô néant…
Je suis carbonisé.
Le monde que Dieu a raté tourne mal
hors de moi
Le monde que Dieu a raté
continue de détourner la tête
ne me regarde plus
m’oublie.
Aux petites heures du matin
demain
un peu plus faible
je reprendrai le combat
perdu d’avance
mon combat.
J’aime les petites heures du matin et les rugosités du mur
de pierre contre lequel je m’assieds,
je contemple ce monde que Dieu a raté
ça m’émeut
je me sens un peu humide
presque vivant
La douce palpitation de la nature qui s’ébroue
l’énergie des chenilles et des limaces qui reprennent la route.
Le bonheur !
Les petites heures du matin oui