(Texte intégral de « Les voix de Jeanne, pièce courte de Roland Fichet, publiée in Petites comédies rurales, Éditions Théâtrales, Janvier 1998.)
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Voix. – Je touche ?
Jeanne. – Ah là là non si vous touchez je vais
je ne suis pas
trop de malheurs
l’époque n’est pas propice
Elle chantonne.
Ma blonde a les cheveux blancs
ma blonde a de la mousse
sur les genoux noux nous
sur ses genoux de nounou ! hou !
ma blonde tousse tousse tousse
toute tordue sa bouche
(tu entends comme je tousse ?)
et elle louche
eh oui je louche
Voix. – Je touche ?
Jeanne. – Dans mon cœur intérieur quelque chose me dit
— je frissonne —
que résister faut pas trop quand l’occasion
mais à mon âge
et cette époque quand même
si dure
pas de travail
que du RMI du RMI du RMI
misère !
Minet minet minet… Où il est mon minou ?
minou minou…
Voix. – Je touche ?
Jeanne. – Ma blonde t’es ma promise
déjà vieille mais pas ratatinée
je vais te tripoter
tout doucettement
comme une jeune mariée
oh Rémy pourquoi tu ne l’as pas fait ?
oh Rémy… bon Saint Rémy pardonnez-moi… je vous salue Marie
Voix. – Je touche ?
Jeanne. – Je ne suis pas peignée
attends attends
toute en cheveux
attends attends
je suis vierge mon cher Édouard
depuis le jour du grand trouble
Le jour du grand trouble
tout sens dessus dessous
la lie du calice dès le petit déjeuner
les familles cul par-dessus tête
Voix. – Vierge quel gâchis c’est pas vrai
je touche ?
Jeanne. – Non !
Le jour du grand trouble
Léontine Courtevallée une femme droite comme un jonc de la famille des Gourmelon
plaque Julien Cornec
et le voilà le malheureux
qui se pend dans un chêne creux
Et de un
Voix. – Écarte un peu tes genoux
Jeanne. – Le jour du grand trouble
Alice Maheu-Coleu
de la famille des Coleu du Golodideuc
(Du Golodic ? du Golodeuc ?)
Alice Maheu-Coleu — la charnue Alice —
gifle Robert Jalus au bal des pompiers
lui furieux ne fait ni une ni deuc ni deux
lui arrache robe et tout l’fourbi
la voilà cul nu Alice
cul nu tout blanc devant tant de monde
périmée d’un coup périmée
Et de deux
Voix. – Écarte
Jeanne. – Christine Bigot qu’était plus solide
que le calvaire de Plougastel
en mangeant des crêpes avec des patates chaudes
volées dans le champ de Polite Joncreux
s’étouffe
son fils Milou le con veut la soulager
lui flanque une claque dans le dos
et la casse
l’arme à gauche la Christine et son grand dadais
qui ne sait même pas faire une soupe
que ses yeux pour pleurer
Et de trois
Voix. – Quelles cuisses rondes blanches grasses
Jeanne. – Yvette Cocherel tombe dans un puits la tête la première en la remontant déjà morte
ses lourdauds de frères
lui arrachent la tête
fallait voir le tableau
pire que la Méduse
du sang blanc qu’on aurait dit
jamais vu ça
Et de quatre
Voix. – Je touche ?
Jeanne. – Nononon ! Étiennette Chasselouve dite La taupe
met le feu au berceau
de son petit Louis
les bougies du sapin de noël !
et voilà que tout brûle
la maison le berceau le bébé petit Louis
l’Étiennette Chasselouve dite la taupe devient folle
ah c’est gai ! ah c’est gai !
folle à lier !
déambule par les chemins maintenant et chantonne :
hé loups renards
hé poules lapins
belettes écureuils souris
la plus belle a mis le feu au paradis
et sa tête en fumée est partie partie
venez venez venez
petit petit petit
hé loups renards
hé poules lapins
belettes écureuils et souris
en enfer emportez-moi je vous en prie
C’est vrai que j’étais belle ?
Voix. – Tu es belle
Enlève ça
Jeanne. – Le jour du grand trouble
La nuit de ses noces — au printemps, pommiers en fleurs !
Voix. – Enlève ça
Jeanne. – Virginie Filâtre ma sœur sectionne le sexe de Pierre Kergus
de la famille Kergus du Plessis-Jaune
ça lui a fait peur ce truc
Voix. – Enlève ça
Jeanne. – Forte comme elle était elle l’a sorti de son lit
l’a traîné dans son hangar
l’a ligoté à son tracteur
et crac elle lui a tranché le truc
Voix. – Enlève ça
Jeanne. – Forte comme elle était et lui tout petit tout minus
mauvaise idée pour un homme si petit d’épouser
une femme aussi forte
elle est encore vierge Virginie Filâtre
ma sœur
Et moi sa sœur le jour du grand trouble
je l’attends tant tant
moi sa sœur le jour le trouble
je t’attends tant tant
depuis si longtemps
Je l’ai raté ?
C’est aujourd’hui ? Ah ! Mon Dieu !
Orgasme ou petite mort au choix.
Petite voix de Jeanne. – Petit petit petit
hé loups renards
hé poules lapins
belettes écureuils et souris
en enfer emportez-moi je vous en prie.
Voix. – Jeanne ! À cheval !
Jeanne. – À cheval !