Couverture de la revue Théâtre's en Bretagne n°15-16

(Extrait des « Notes dans la marge » de Roland Fichet publiées dans la revue Théâtre s en Bretagne n°15-16, Théâtre et territoire, P.U.R., deuxième semestre 2002. « Les charmilles et les morts » est un texte de Jean-Michel Rabeux, publié en 2002 aux éditions Rouergue. « Les charmilles », mise en scène de Jean-Michel Rabeux, 1994, est un texte que l'on retrouve dans le premier chapitre de « Les charmilles et les morts »)

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« Les charmilles et les morts » de Jean-Michel Rabeux

Au cœur de l’écriture limpide de Jean-Michel Rabeux : le trouble. Le trouble habite celui qui écrit ce récit, c’est un trouble assumé, médité, construit, formulé du coup avec simplicité sinon avec sérénité. C’est peut-être la morale implicite de ce texte clinique — méditation sur le corps, le sexe et la mort — : NE PAS FUIR LE TROUBLE. Cette morale s’entend aussi dans la gravité de la phrase de Jean-Michel Rabeux. C’est une gravité qui ne pèse pas mais qui sollicite le lecteur, qui requiert sa disponibilité. Cette gravité simple émeut, remue, met en branle de la pensée. Comment, écrivant, être au plus près du corps ? de mon corps ? de mes corps ? Une (bonne) place pour la littérature : au plus près du corps. Une place vitale.

Dévoilement de l’intime. Un dévoilement têtu, tenace. Ce qu’il faut tenter de mettre sur la table, sur la page, sur la scène ? L’intime. Quoiqu’il en coûte. L’intime appelle le secret, l’enfouissement. La vérité et l’intime entretiennent un commerce pas net. Difficile d’exposer ses désirs intimes, ses pratiques intimes, ses pensées intimes. L’exploration minutieuse de sensations, de contacts, de pulsions, tentée par Jean-Michel Rabeux nous met sur le chemin de notre propre intimité, de cette part de notre intimité qui (nous) fait peur.

Corps. Viande. Boucherie. Humanité. Mort. Pas d’exhibition cependant. L’étrangeté du corps blessé, du corps amputé. L’étrangeté de la cruauté. La mort au travail. La matière humaine travaillée par la mort. Les corps amputés de la clinique Les Charmilles que dirige le père du narrateur ou le découpage d’un gigot sont arrachés à la banalité, sortis de l’oubli dont on nappe ce qu’on a tous les jours sous les yeux, rendus à leur présence inquiétante par le regard de l’enfant qui habite Les Charmilles, par le regard de l’adulte qui se souvient de cet enfant, de ce qui le charge et de ce dont il se charge pour la vie.

J’ai su ce jour qu’après tout je n’étais qu’une viande à manger, protégée certes à peu près sûrement de la dévoration par l’établissement de nos mœurs, mais pas du tranquille appétit de la mort. (p. 8)

Le corps pousse au crime ? En lisant Les Charmilles et les morts de Jean-Michel Rabeux me vient cette question :
Aimer les gens aux corps assassinés m’a rendu par amour assassin (p. 13)

Le corps n’est sexué qu’au prix de la mort ? Hé oui.
Douceur ? oui, douceur. J’entends la voix de l’auteur. Elle murmure nettement les mots à mon oreille.
« La cruauté structure l’être parlant ». De qui cette citation ?