(Article rédigé par Marine Bachelot, auteure, metteure en scène.)

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Interrogé sur le sujet, Roland Fichet avoue ne pas avoir écrit La chute de l’ange rebelle en s’inspirant d’auteurs particuliers, ni en s’inscrivant dans une lignée ou dans un compagnonnage littéraire précis. Ce qui prévaut, c’est l’extrême liberté qu’il se donne pour écrire ce texte, tant du point de vue stylistique que de la structure et des thèmes. Cependant quelques références éparses, que ce soit les lectures de l’auteur à l’époque ou des allusions précises à des œuvres, évoquées au fil des conversations et entretiens, peuvent éclairer le moment de l’écriture, ou donner des pistes pour une lecture de La chute de l’ange rebelle.


Parentés passagères / Blanchot, Handke

Roland Fichet se rappelle avoir lu L’arrêt de mort de Maurice Blanchot (Gallimard, 1948) pendant qu’il était à La Chartreuse, et en avoir été touché. La sensibilité particulière du texte, la posture devant la mort, le frémissement qu’il contient, le passionnent. Peut-être cette lecture de Blanchot fait-elle partie de ce qui lui donne envie de se relancer dans l’écriture de La chute de l’ange rebelle.

Roland Fichet lit aussi quelques romans de Peter Handke pendant qu’il travaille sur son texte : La femme gauchère (Gallimard, 1978), L’angoisse du gardien de but au moment du penalty (Gallimard, 1972). L’écriture que l’auteur développe n’a bien sûr rien de commun avec celle de Handke, mais le thème du retrait du monde, l’être au monde très particulier que développent les personnages de l’écrivain allemand peuvent entrer en résonance avec La chute de l’ange rebelle.


Parentés plus nettes / Beckett, Michaux

Roland Fichet, seulement après avoir écrit La chute de l’ange rebelle, lit un texte de Beckett qui lui semble entrer fortement en résonance avec son texte : Tous ceux qui tombent (Minuit, 1957). Mais l’auteur avoue que de toute façon, Beckett joue dans sa pièce, son écriture : « Beckett, c’est vraiment une base, un rythme, un univers à partir duquel je peux travailler. » Roland Fichet se souvient au passage d’une phrase marquante dans Premier amour où la femme, enceinte, dit au narrateur-personnage : « Il bondit. » Et celui-ci : « S’il bondit, dis-je, c’est qu’il n’est pas de moi. » Le thème du refus d’engendrer, explicite chez Beckett, l’est aussi chez le personnage de La chute de l’ange rebelle.

L’aspect beckettien se lit encore plus nettement dans la vision qu’a Roland Fichet du personnage qu’il fait parler et vivre dans sa pièce: « C’est quelqu'un qui est là, dans un état où petit à petit gagne le sentiment que la fin du monde a eu lieu sans qu’on s’en rende compte. C’était ça, ma sensation. Le fait que tout autour, il n’y a plus rien ; plus personne. Mon personnage ne sait plus aller jusqu’à la mer, c’est un déplacement extraordinaire pour y aller. En même temps, il y a la joie de pouvoir faire quelques pas, d’attraper des choses, de survivre. Dans un tremblement des âges et des temps. Je suis très sensible à cette chose qu’on trouve dans beaucoup de textes de Beckett : la façon dont ça tremble, au bord du précipice, le sentiment que les êtres sont un peu en bout de course. La saisie d’une forme de déréliction, d’une forme d’abandon par les dieux, chez des gens et dans des sociétés qui ont été très traversées par la foi, la croyance. Je pense aussi au cheminement, au fait d’avancer laborieusement sur le chemin. Je crois qu’à plusieurs reprises dans La chute de l’ange rebelle, le personnage avance laborieusement. Il essaie de sortir, il va sur le bord de la plage, il revient, il sent qu’il y a du salpêtre sur les murs, que ça commence à l’envahir. Dans Tous ceux qui tombent, on a ces personnages qui sont sur la route, sur le chemin. Et il y a bien sûr, dès le titre, la notion de chute. Chez Beckett, il y a aussi l’idée du passage : on passe comme on peut, de l’autre côté de quoi, on ne sait pas, mais on essaie de faire le passage, et avec tout ce qu’on a perdu on essaie quand même d’être vivants. Me touche aussi la légèreté de Beckett face à des sujets graves. Dans la littérature dramatique française, il y a une forme de méfiance vis-à-vis de la comédie, de ce qui fait comédie. Moi le tremblement de la comédie m’a toujours excité — avec les petits excès que ça suppose, dans l’humour, les effets de langue… Pour La chute de l’ange rebelle je travaille la tension entre la comédie et la tragédie, qui est un souci constant chez moi. »

De même, l’univers tragi-drôlatique de Michaux entre assez facilement en résonance avec La chute de l’ange rebelle. Deux citations de Michaux sont revenues à la mémoire de Roland Fichet lors d’un entretien.
« À sept ans je rêvais d’être agréé comme plante. »
« Ma vie, traîner un landau sous l’eau. Les nés fatigués me comprendront. »
« Ces phrases-là me plaisent beaucoup. C’est vrai que j’ai vécu une partie de ma vie avec le sentiment violent d’avoir à traîner un landau sous l’eau, ou d’avoir échappé à un destin nettement plus enviable qui serait d’être agréé comme plante, ou comme arbre, ou comme animal. Je pense que La chute de l’ange rebelle parle de ça très fortement, de l’envie d’être dans un état de nature différent, d’être dans un autre rapport à l’animalité, et puis de l’envie d’immobilité. »


Influences ponctuelles

Il s’agit peut-être de détails anecdotiques, mais il est intéressant de voir comment le texte de La Chute de l’ange rebelle est travaillé par des choses infimes. Un souvenir de lecture de l’auteur, ici celui de L’amour fou d’André Breton, y dépose une trace secrète.

« Il y a une trace de L’Amour fou dans La Chute de l’ange rebelle, qui est le ramassage des objets sur la plage. Dans L’Amour fou, sur la plage de Lorient, le narrateur Breton dégage avec les pieds des objets qui sont rejetés par la mer, il regarde les formes que ça donne. Dans La Chute de l’ange rebelle, je fais la même chose, d’autant plus que j’ai un copain sculpteur, Loïc Corrouge, qui expose des objets et des morceaux de bois ramassés sur la plage. Avant d’avoir lu L’Amour fou, j’avais vu les objets de Loïc Corrouge. Dans La Chute de l’ange rebelle, il y a des petits totems. Ça a un lien avec Breton. Breton m’intéresse pour cette idée des signes, de la musique du hasard, ce que Paul Auster appelle « la musique du hasard ».