Couverture du livre Mcropièces

(Texte intégral de « Apocalypse », micropièce de Roland Fichet publiée sous le titre « Issue » in Micropièces - Fenêtres et fantômes, Éditions Théâtrales, novembre 2006.)

[+] plus d'informations sur le site des Éditions Théâtrales
[+] commander ce livre sur amazon.fr
[+] aller au sommaire de « Micropièces » 


Premier comédien. – Du tout à l’aise. Pas du tout à l’aise. Entrer. Entrer coûte que coûte. Je ne veux pas croupir une minute de plus dans cette cage d’os et de muscles, dans ces eaux stagnantes, je veux aborder, accoster, risquer le passage, entrer dans le monde. Ouvrez ! Que le sang coule ! Que je coule avec le sang ! L’œuf ! L’œuf ? Quel œuf ? Je ne suis pas un œuf, je suis un être qui veut naître. Je suis derrière la porte juste derrière. Ouvrez ! Je suis serré, je ne bouge ni pieds ni pattes, je ne peux. Je veux pousser mon cri. Chanter. Courir. Qu’on m’extirpe, qu’on me tire, je veux un jour m’accoupler, qu’on me déplie ! Regardez comme je ne respire pas. Une respiration de poisson sous l’eau. J’ai le droit à l’air libre. Il n’y a plus d’entrée dans le monde ? On ne peut plus que quitter le monde ? L’entrée est bouchée. Le jour fatal de l’entrée bouchée est arrivé. Seulement des sorties. Toutes les entrées sont bouchées. Définitivement. Plus une femme ne peut ouvrir son trou.

Deuxième comédien. – Alors Dieu dit : « À partir d’aujourd’hui plus une femme ne pourra ouvrir son trou. À partir d’aujourd’hui je bouche le trou des femmes. L’histoire de l’homme est fini. Il ne naîtra plus. On épuise le stock. Dans cent ans j’aurai bouclé mon programme. »

Premier comédien. – Ça vous paraît vraisemblable cette histoire ?

Deuxième comédien. – Un si petit trou par où passent de si gros bébés… Dans les pays capitalistes ils atteignent cinq, six kilos maintenant. Un vrai miracle qu’ils passent encore.

Premier comédien. – Les miracles finissent toujours par s’épuiser.

Deuxième comédien. – Soyez vigilants. Un jour ça pourrait ne plus passer. Les bébés, ça pourrait ne plus passer. Dieu a jeté l’éponge.

Premier comédien. – S’ils continuent de grossir on évitera le ventre des femmes. On ne va pas saborder le capitalisme à cause d’une insuffisance physique féminine. L’histoire de Dieu est peut-être finie mais pas celle du capitalisme.

Deuxième comédien. – Éviter le ventre des femmes ! Géniale idée ! La science a cent ans pour faire basculer l’inconscient de l’homme hors du champ maternel. Demain l’homme sera libre ! Salut Dieu ! Salut maman !