(Entretien avec Orchy Nzaba, propos recueillis par Alexandre Koutchevsky)

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Après avoir mangé la viande de chasse et le poisson grillé, Orchy et moi quittons le restaurant des bikatas vers 14h. Un petit muret à escalader, le trottoir de poussière, la route, le CCF. Nous montons dans mon studio pour avoir une prise électrique, du frais et du calme. Dehors, les crieurs de bus clament les arrêts de leur ligne.

ANATOMIE D'UN NOM

Je m’appelle Edmond Rustique Orchy Nzaba. Edmond c’est le prénom de mon grand-père et celui de mon père. Ce dernier m’a donné Rustique. Mon père est né en ville mais il a enseigné dans les villages en Centrafrique. Il aimait tout ce qui était traditionnel, c’est peut-être pour cela qu’il m’a appelé Rustique, ce qui donne à mon nom ce côté campagnard.

J’ai pris un surnom en 1992, quand j’ai quitté les bancs de l’école : Orchy. J’avais 20 ans, c’est à ce moment que j’ai décidé de faire de l’art. Je me suis dit qu’il me fallait un surnom qui raconte la nouvelle personne que j’étais. Orchy rappelle « archi », comme dans archi-bien, archi-faux, etc. Mais j’ai aussi composé le prénom Orchy à partir de lettres qui me plaisaient. Or, je trouvais que le « a » de « archi » était trop net, trop fort, donc j’ai choisi le « o ». Le « r » vient de Rustique, le « c » c’est tout simplement la troisième lettre, et le « h » je l’ai pris dans l’homme, c’est le quatrième chiffre de mon prénom. En Lari, ma langue maternelle, les lettres ont une signification. Le « i » peut signifier l’exclamation, l’étonnement, on peut dire « iiii ! » ou « oooo ! », ce qui veut dire que tu as vu quelque chose de bien ou de beau. Et comme j’avais mis le « o » au début, j’ai mis le « i » à la fin.

Nzaba c’est à la fois le savoir et son contraire. Quand tu dis « nzaba » ça veut dire que tu ne sais pas. Le Nzaba c’est également un rituel. Quand tu es initié au Nzaba ça veut dire que tu es mûr pour être dans un rapport à la nature : tu connais l’eau, le feu, l’heure à laquelle on entre dans la forêt, à laquelle on en sort. Du coup, Orchy Nzaba c’est le savoir et le non-savoir extrêmes. Ce qui m’a le plus marqué à l’école, en mathématiques, c’est la question du « moins l’infini, plus l’infini et du zéro au milieu ». Orchy Nzaba fait aussi écho à cette leçon de mathématique que j’ai à la fois comprise et pas comprise.

LA GESTUELLE KONGO

La gestuelle Kongo (avec « k ») nous ramène au royaume du Kongo[1]. Ce sont les mouvements et gestes à la fois ancestraux et quotidiens qu’on a dans la vie, les coutumes mais aussi les façons d’être dans les émotions par exemple. J’ai commencé à travailler la gestuelle kongo à partir de l’étude des statuettes, de leurs visages. Les yeux, les doigts, signifient déjà quelque chose, il n’y a pas besoin de parler, ni de bouger. Puis je suis passé des statues à la danse et à la musique.

Je me sers de tous ces éléments traditionnels comme de techniques pour atteindre à une certaine légèreté dans la danse que je propose. Légèreté des gestes quotidiens, de l’intime du corps. Ainsi, dans la mythologie, le Dikenda est un losange qui représente la vie. Le premier angle c’est le lever du soleil (la naissance), le second c’est le zénith à midi (l’homme est mûr), puis c’est le déclin vers le soir, la vieillesse, et à minuit c’est la mort, et enfin le trajet vers la naissance, etc. Une danse correspond à une représentation de ce losange : elle comprend un pas vers l’avant, un vers l’arrière, et un de chaque côté.

Mais dans le Dikenda il manque le volume, le haut et le bas, que j’ai apportés dans les répétitions d’Anatomies par le Kitezo. Le Kitezo possède aussi une dimension spirituelle, il crée un rapport entre ciel et terre, entre les vivants et les ancêtres. Sur le texte Zones érotiques, j’ai donc proposé le Kitezo. Quand les interprètes sont dans la cage en bois renversée à l’horizontale, ils font le Ntsongui-a-n’lembo, le geste de celui qui montre, désigne avec le doigt. Quand ils sortent de la cage ils font le Ntsombori, c’est la marche sur la pointe des pieds, la marche de celui qui ne veut pas se faire entendre. En même temps ils font le Kissanola avec leur main. C’est un geste pour se coiffer, se faire beau, mais c’est aussi épousseter quelque chose.

Le travail des textes avec Roland Fichet n’était pas étranger pour moi, puisque j’avais l’habitude de créer des chorégraphies pour des chansons qui possédaient leur propre univers. Roland était déjà dans une démarche de gammes de gestes et de sons, or j’avais quelques connaissances dans les gammes musicales, pentatoniques, etc. Donc, cette liaison entre gammes gestuelle et sonore m’a intéressé immédiatement. Par ailleurs j’ai beaucoup lu Rudolf Laban qui parle de cette correspondance entre son et mouvement. Le son peut créer du mouvement et inversement. Les textes de Roland sont rythmés et travaillent ces questions. J’essaie d’emmener les sons de ses mots vers des gestes. Avec ces textes il est assez facile de trouver des gimmicks[2], comme on dit en musique.

Je trouve que le rapport entre les acteurs et les danseurs se passe très bien. Moins on sentira la différence entre acteurs et danseurs, entre noirs et blancs, moins on se demandera d’où viennent les histoires qui nous sont racontées, tissées par l’ensemble des textes, des interprètes, des gestes, sons, etc. C’est je crois l’essence du projet entre Li Sangha et Folle Pensée. Anatomies 2008 ne ressemble à aucun spectacle que j’ai déjà fait.


[1]
L’ancien royaume du Kongo s’étendait sur une immense partie de l’Afrique du sud-ouest.

[2] Un gimmick est une cellule de quelques notes de musique capable de capter l'oreille de l'auditeur.