« Je viens juste de poser là les masques et les statues tout ça, tout ça, tu es mon premier client. » Le jeune homme a le sens du commerce, il sait harponner l'étranger qui passe. Il parle français. « Ma mère est camerounaise, voilà pourquoi je connais le français » m'explique-t-il. « Et toi tu es le premier Guinéen à qui je parle, je viens d'arriver. » Je triche. En fait, c'est le second. Le premier c'est Pépé, le chauffeur du mini-bus qui est venu nous chercher à l'aéroport de Malabo, un homme subtil qui répond aux questions gênantes (politiques) par un grand sourire.

Je prends dans mes mains une petite statuette lacée dans un carré de rafia. Cette statuette m'attire. Mohammed Njouenwet Lah, le jeune commerçant me la présente : « Elle vient du pays fang. Elle était accrochée sur une porte, une des portes d'une chefferie. C'est la figure de l'accueil. C'est aussi la figure du messager. Elle t'accueille quand tu arrives et t'annonce. C'est bien que tu prennes avec toi cette statuette. » J'achète la petite sculpture et j'entre avec elle dans l'Institut Culturel d'Expression Française (ICEF).

Au centre de cette élégante bâtisse en bois clair un vaste espace rectangulaire :  le carrefour de l'ICEF, le lieu de passage et de rencontre et aussi la salle de représentation. Elle peut contenir deux cents personnes précise le directeur, Jean-Philippe Gabilloux, un homme attentif, mince, avec quelque chose de britannique dans la posture et dans la sobriété verbale.

– Donc, c'est là que nous allons jouer ?
– Oui, dans cette salle.
– Le pays est hispanophone, c'est même le seul pays hispanophone d'Afrique, mais l'unique compagnie théâtrale de Malabo est animée par un jeune metteur en scène qui parle français et il y a une petite communauté francophone. C'est quand même étonnant d'être ici, en Guinée Équatoriale. D'être ici, à Malabo. La Guinée Équatoriale a exilé sa capitale sur une île. Nous allons jouer Anatomies 2009 – Comment toucher ? dans ce pays d'environ un million d'habitants mais les trois-quarts de ces habitants sont hors de portée ; ils sont là-bas sur le continent africain, dans un rectangle encastré entre le Gabon et le Cameroun.

À 18 heures nous prenons un verre sur la terrasse devant l'Institut avec les six acteurs de Malabo qui vont participer à la représentation : Pauline, Alicia, Elvidel, Pastor, Celestino et Juan Miguel dit Bello. Nous échangeons en français et en espagnol. Pastor, Marie-Laure et Aline (de Dinan!), l'animatrice culturelle de l'Institut, traduisent la conversation au fur et à mesure. Damien explique aux acteurs ce que nous attendons d'eux. Dans Anatomies 2009, plusieurs phrases sont énoncées dans les langues du pays. Nous nous lançons dans une petite reconnaissance linguistique. Nous leur demandons aussi de réfléchir pour le lendemain au chant de leur pays qu'ils ont envie de nous proposer.

Des femmes sur le bord de la rue vendent des poissons. Certains sont énormes : des barracudas impressionnants, des bars, des capitaines. D'autres vendent des fruits : J'achète des bananes.

Repas dans un petit restaurant local. La patronne nous présente les poissons ; à chaque poisson elle attribue un prix : 3000, 5000, 4000, 6000, 7000. Une fois grillés, quand elle nous les apporte, la patronne désigne toujours les poissons par leur prix : deux 5000, trois 6000, un 7000, etc. Alexandre et moi partageons un bar que nous apprécions. Nous n'en laissons que les arêtes mais nous ne savons pas manger la tête comme le font les Africains. Pastor, le metteur en scène du pays, est à côté de moi. Il a monté L'île aux esclaves de Marivaux et s'attaque maintenant à un texte de Gustave Akakpo.