(Entretien avec Sthyk Balossa, acteur-danseur dans Anatomies 2008 / Brazzaville - Saint-Brieuc, propos recueillis par Alexandre Koutchevsky)

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Cet entretien a été réalisé le 3 avril. Le lendemain, nous jouons la première de « Corps dans les cours », au 114 rue Archambault, quartier Bacongo, dans la cour où Sthyk a grandi. Nous y sommes accueillis par sa famille, ses amis, les habitants du quartier.


Anatomie d'un nom

Je m’appelle Christel Nodary Balossa Nganga. À l’époque où j’ai pris le nom de Sthyk j’étais dans le rap, le hip-hop. Je trouvais que s’appeler Christel ne correspondait pas trop à ce milieu. Or, j’avais un ami qu’on appelait Scottie, en référence au joueur de basket Scottie Pippen, car cet ami avait une bonne détente. Je me suis dit qu’il fallait que je me crée un autre personnage, un nom d’artiste, j’ai choisi Sthyk. Scottie et Sthyk ça faisait un peu comme deux partenaires. Ça vient de « stick », en anglais, qui signifie « coller ».

En 1994 le Sthyk est né. J’ai changé les lettres pour me détacher du stick baume à lèvres, des stickers, comme ça les gens se demandent un peu d’où ça sort. Le nom a pris sa force jusqu’à aujourd’hui. Pour moi, Sthyk c’est une chose qui est accrochée à une autre, qui colle. Je me colle un peu à tout ce que je croise, tout ce que je suis. Le Sthyk est vraiment né dans la musique, le rap, mais en même temps qu’on chantait on faisait des chorégraphies, c’était toujours lié. Quand j’ai évolué plus franchement vers la danse je n’ai pas pensé une seule seconde à changer le Sthyk, c’était mon nom d’artiste.


Parcours

Je connais Orchy (Nzaba)[1] et travaille avec lui depuis 1994. Il faisait partie d’un groupe de musique avec mon cousin. On s’est vraiment centré sur la danse au moment de la création des ateliers de recherche chorégraphique. En 2004, le directeur du CCF à l’époque, Christian Burgué, nous a vus chanter et danser, il était étonné par l’énergie que nous mettions à lier les deux. Il nous a invités à explorer et approfondir notre côté danseur. Orchy lui a donc proposé les ateliers de recherche chorégraphique.

Dans ce cadre on a fait quelques stages, notamment avec Paco Dècina, la compagnie Corps et âme, Julie Dossavi… Puis j’ai travaillé avec Alain Gintzburger, qui est metteur en scène. En 2006 on a eu le prix RFI pour le spectacle Monamambou. Après le prix on a fait une tournée internationale, en Europe, aux États-Unis, en Corée.


Les deux horizons : danse et théâtre

Dans les premiers travaux avec Roland Fichet il y a deux ans, en compagnie de Byb et Aucarré[2], on avait fait Le sexe de Dieu[3]. On n’avait encore jamais travaillé de cette façon, le principe des gammes gestuelles et sonores nous était inconnu, mais dans Monamambou il y avait déjà beaucoup de paroles, du slam. Du coup l’apprentissage de ces gammes faisait écho à notre pratique.

Les gammes sont assez déroutantes au début. Le metteur en scène enlève des morceaux, des propositions que tu fais, c’est déstabilisant, mais avec le temps on comprend et accepte cette règle du jeu : on apporte la matière et le metteur en scène coupe, choisit.

Anatomies 2008 n’est pas un projet facile justement parce que la danse et le théâtre se croisent. Je ne suis pas comédien bien que j’aie beaucoup travaillé la diction et le texte dans le rap et le slam. Ma peur vient plutôt du croisement des deux horizons : danse, théâtre. Parfois ces deux horizons ne marchent pas du tout ensemble, se rencontrent mal dans un spectacle. Mais cette peur permet d’avancer, avec ses petites faillites.

Les mots « danse » et « théâtre » nous emprisonnent un peu. Un bébé de six mois danse et parle, il fait des gammes déjà. Quand on préparait des gammes avec Flora (Diguet)[4] pour le texte L’ancêtre dans la gorge[5], on ne savait pas trop si ce qu’on faisait allait dans la bonne direction. Mais ça produit quelque chose quand même, qu’on affine ou efface ensuite. Avec Flora, on ne s’est pas fixé de limites, on s’est dit : on ose. Le travail sur le texte avec elle a réveillé en moi un côté que j’avais un peu délaissé depuis quelques années. J’y ai pris beaucoup de plaisir.

Les moments dansés sans texte à dire doivent nous emporter avec autant d’intensité que ces moments où texte et danse sont liés par les gammes gestuelles et sonores. Par exemple, quand on finit le texte des ancêtres avec Flora, il faut garder l’esprit et l’attitude de cette séquence parlée/dansée pour enchainer la suivante : la danse des ancêtres, où il n’y a plus de texte. À ce moment, il faudrait que le spectateur ait vraiment l’impression que ce sont les ancêtres dont on a parlé dans la séquence précédente qui sont en train de danser, sinon c’est de la simple exhibition.

On crée du mouvement par rapport à ce qu’on entend. Ainsi, à plusieurs moments du spectacle, beaucoup des mouvements que je propose sont inventés à partir du texte des ancêtres. Ce qui est dur pour nous c’est de ne pas danser. On a beaucoup de danse en nous. Quand tu le malaxes bien, le texte t’emporte dans son rythme, tu es pris par la dimension musicale de l’écriture et ça déclenche généralement un petit mouvement dans ton corps. On peut dire le texte et créer le mouvement après, mais l’inverse est possible comme on l’a fait au début des répétitions.

 

[1] Chorégraphe de Li-Sangha
[2] Danseurs de la compagnie Li-Sangha, également présents dans Anatomies 2008.
[3] Court texte de Roland Fichet.
[4] Comédienne d'Anatomies 2008.
[5] [+] voir Newsletter #2 (FICTION).