(Chroniques de répétitions rédigées par Alexandre Koutchevsky, assistant de mise en scène sur Anatomies 2008 / Brazzaville - Saint-Brieuc)

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Je trouve une fleur le long d’un chemin. Elle me plaît, je la cueille, la rapporte chez moi, la mets dans un vase, la regarde, tristesse me saisit : ce n’est plus la même fleur que celle qui m’avait séduit le long du chemin. J’ai arraché la fleur à son paysage, je l’ai coupée de son horizon. Ce que j’aimais chez la fleur ce n’était pas seulement sa tige, ses pétales, ses couleurs, son odeur, c’était son inscription dans un paysage. Ce qui me touchait c’était la fleur articulée au chemin, la fleur comme instant de ma promenade, la fleur couleur parmi les herbes vertes, la fleur balancée par le vent, visitée par l’abeille, la fleur vivante dans son paysage. Ce qui me touchait dans la fleur n’appartenait pas qu’à la fleur, c’était une série de rapports entre la fleur et son paysage.


La séquence dans son paysage

Dans Anatomies 2008, l’utilisation de la notion de paysage découle d’un choix radical posé très tôt par le metteur en scène : tous les interprètes sont sur le plateau du début à la fin du spectacle, il n’y a pas de coulisses, les changements de costumes se font à vue, ou légèrement masqués. Par ailleurs, la première partie des répétitions ayant consisté à travailler par couples diverses séquences à partir de propositions de gammes gestuelles[1], puis à insérer les textes dans ces trames corporelles, il a fallu penser assez vite les enchainements de ces divers morceaux.

À chaque séquence, les interprètes se trouvaient séparés en deux groupes : ceux qui jouaient la séquence et ceux qui, hors-jeu mais sur le plateau, s’y trouvaient aussi mais sans que leur place ait été anticipée. Par conséquent, la question de leur mode de présence nous a poussés à utiliser la notion de paysage.

Il est donc possible, ainsi que poétiquement et théâtralement stimulant, de penser les textes et les corps dans leur paysage. Disons que chaque séquence [texte dit] + [corps en mouvement] = [la fleur]. Si l’on peut identifier la séquence Être mariée[2] à la fleur, quel est alors le paysage d’Être mariée ? Ce sont les questions que nous nous posons dans ces dernières semaines de répétition. Nous cherchons à inventer et faire vivre les paysages des séquences. Comment organiser ce qui se passe sur la scène tout autour de Princia Biyela quand elle joue Être mariée ?

Les autres interprètes peuvent animer l’arrière-plan, créer des images en point de fuite, composer l’image scénique. Toutefois, les rapports entre la séquence et son paysage ne doivent pas être pensés uniquement en termes d’espace, de profondeur, de composition visuelle. La notion de paysage est beaucoup plus vaste : celui-ci peut par exemple posséder également une dimension sonore, le paysage parle ou fait du bruit. Le paysage d’Être mariée pourrait ainsi se constituer de percées vocales (reprises de mots, sons, phrases, par les six interprètes qui ne jouent pas directement la séquence).

Le paysage d’une séquence doit offrir des lignes de fuite imaginaires, de légères perturbations du sens, sans pour autant empêcher que nous parvienne clairement la séquence interprétée.


[1]
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[2] Être mariée est joué par Princia Biyela.