(Entretien avec Jéarbuth Biyela, actrice-danseuse dans Anatomies 2008 - Brazzaville/Saint-Brieuc, propos recueillis par Alexandre Koutchevsky)

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Une terrasse au soleil, une petite table en verre, deux fauteuils stylés, un micro. On se croirait presque au festival de Cannes.


Anatomie d'un nom

Je m’appelle Princia Jéarbuth Hervienne Biyela. Je n’ai pas vraiment eu le temps de demander à mon papa d’où venaient mes prénoms, c’est lui qui me les a donnés. Mon père s’appelait Prince, mais ce n’était pas vraiment son prénom, c’était un sobriquet. Il s’appelait en fait Nzaba Bernard. Je suis l’aînée, j’ai sept frères et sœurs. Un de mes frères s’appelle Nzaba Prince, Prince Detmer, il est danseur également.

Jéarbuth je ne sais pas d’où ça vient, mais c’est de l’anglais, alors j’imagine que c’est « quelque chose qui germe avec but ». Comme une plante qui pousse, tendue vers un objectif. Hervienne, je ne sais vraiment pas du tout d’où ça vient. Princia je n’aime pas trop ; ce qui me parle le plus c’est Jéarbuth, j’adore ce prénom. Les gens m’appellent Princia mais je préfèrerais qu’on m’appelle Jéarbuth. Seulement, on me connaît sous le nom de Princia, Princia c’est populaire. Je n’ai pas de nom d’artiste comme les garçons[1]. Biyela c’est le nom de la mère de mon père. Un jour j’ai demandé à ma grand-mère ce que ça voulait dire ; elle m’a dit que « Biyela » ça désignait les fruits mûrs. « Biyela » c’est le fruit qui est bon à manger. Jéarbuth Biyela, en fait ça va bien ensemble.


Parcours

Mon père animait un groupe de percussions, c’était un groupe familial. Il avait une nièce qui a commencé à battre le tam-tam à l’âge de 5 ans, elle s’appelle Mabonzo Dedina. Elle est devenue une joueuse très connue. Au Congo, elles ne sont que deux à être devenues de grandes joueuses de percussion. Ce groupe a été fondé en janvier 1994. À cette époque j’étais à l’école et les musiciens répétaient à la maison, dans la cour. De temps en temps j’étais là, je regardais. C’est mon père qui m’a fait franchir le pas, il m’a poussée à apprendre la percussion, il ne voulait pas que je ne sois qu’à l’école, il tenait à ce que j’apprenne autre chose.

Je suis entrée dans le groupe en 1996, j’avais 15 ans. Cette année-là nous avons participé à la Foire internationale de Lyon. En 2000, j’ai intégré le groupe de danse percussion de Léonard. C’est là que j’ai fait mes premiers pas en danse contemporaine. Le chorégraphe s’appelait Boris Bouetoumoussa Nganga Tanguy. À partir de ce moment, j’ai arrêté la percussion. Je trouvais que ça durcissait le corps, mes mains devenaient dures. Pour une femme avoir les mains dures ce n’est pas très bien. Je trouvais que la danse convenait mieux à mon corps. J’ai fait beaucoup de danse traditionnelle. Pour moi la différence avec la danse contemporaine c’est que cette dernière impose une conscience aiguë de chaque mouvement. Il me semble que la danse traditionnelle repose plus sur des gestes que sur des mouvements. Et puis la danse traditionnelle s’appuie presque toujours sur de la musique (balafon et tam-tam). Je peux faire de la danse contemporaine sans musique.

En ce moment, je me sens en progression. J’apprends, je sens vraiment que certains de mes mouvements ne sont pas encore totalement aboutis et que je peux les préciser. Avec le chorégraphe Philippe Ménard j’ai appris beaucoup de choses : comment créer des mouvements, comment occuper l’espace. C’est la même chose avec Orchy[2] depuis qu’on fait des ateliers de recherche à Brazza. Avec Orchy j’apprends notamment à avoir conscience des mouvements que je peux faire sur la scène. Il nous parle beaucoup, nous dit toujours qu’il faut oser, proposer des choses.


La découverte du texte dans Anatomies 2008

La grande découverte pour moi sur Anatomies 2008 c’est d’associer texte et danse, je n’avais jamais fait ça. Après la représentation à Brazza[3] beaucoup de gens qui me connaissaient comme danseuse étaient très impressionnés par le fait de m’avoir vue dire du texte, me transformer en comédienne.

Il faut dire que j’ai vraiment du mal à dire le texte. En général j’ai l’impression que les mots passent comme ça, sans s’arrêter. Je ne comprends pas tout de suite le sens et je n’ai pas le réflexe de me poser des questions sur les textes. Si je ne comprends pas, ça ne me dérange pas vraiment. À Brazza, Damien[4] et moi avons beaucoup travaillé sur le texte, à la fois sur le sens et la diction. On allait sur la terrasse du Centre Culturel Français et là on pouvait hurler, il me faisait articuler les sons très fort pendant de longs moments. C’était formidable. C’est comme dans un groupe de chant, on prenait le texte comme une partition, on s’échauffait la voix puis on faisait des exercices d’articulation et de volume.

De mon côté, je lui ai transmis quelques mouvements de danse comme la marche contrainte du pied tenu par la main, que nous avons faite dans la séquence des Pieds. Travailler les regards, les marches, c’est aussi danser.

Le début du spectacle, quand nous sommes tous ensemble dans la boîte, me plaît beaucoup. La respiration que nous faisons alors en même temps avec les amis me touche énormément. La séquence des Pieds que nous avons faite à Brazza m’a énormément plu. Surtout le moment où nous sommes joue contre joue face public au bord de la scène avec Damien. En fait, ce qui me plaît le plus dans ce travail, ce sont tous les moments de contact entre nous, surtout quand on se parle. J’adore les dialogues entre nous, le jeu des réponses. Depuis que je suis danseuse je me retrouve toujours la seule fille dans les groupes. En fait ça me donne envie de beaucoup bosser. Danser avec les garçons c’est très stimulant, ça me fait du bien. La force des garçons et des filles n’est pas pareille, quand je dois suivre leurs enchainements c’est parfois très physique, ça va vite. Travailler avec les hommes me fait plus avancer que dans mon groupe de danseuses à Brazza. Il n’y a pas de femme chorégraphe à Brazza. J’aimerais vraiment être la première, même si je sais que ce n’est pas facile, il faut du temps.


[1] Les danseurs de la compagnie Li-Sangha ont presque tous un nom d’artiste.
[2] Orchy Nzaba chorégraphe d’Anatomies 2008.
[3] Représentation d’Anatomies 2008 au CCF de Brazzaville le 10 avril 2008.
[4] Damien Gabriac, comédien d’Anatomies 2008.