(« Anatomies 2008 / Brazzaville - Saint-Brieuc ». Lettre n°1, adressée à Éric Lamoureux, chorégraphe, danseur, directeur du Centre chorégraphique national de Caen.)


Cher Éric,

Me voici de nouveau à Brazzaville, au Congo. Je commence ma cinquième résidence dans cette ville. La première c’était en juillet 2006. Je suis passé du festival Mantsina sur scène au festival Makinu Bantu. D’abord invité par Dieudonné Niangouna, j’ai poursuivi ma route avec Orchy Nzaba. Je circule du théâtre à la danse et de la danse au théâtre en compagnie de mes amis et complices chorégraphes, auteurs, danseurs, acteurs… Orchy apporte son regard de chorégraphe au spectacle que nous créerons ici le 10 avril, Dieudonné assistait à la répétition de samedi, Sylvie Dyclo-Pomos traduit en lingala des fragments du texte d’« Anatomies 2008 / Brazzaville-Saint-Brieuc ».

« Anatomies 2008 / Brazzaville-Saint-Brieuc » (les représentations auront lieu à la Scène nationale de Saint-Brieuc les 27, 28 et 29 mai) s’inscrira dans une trilogie grâce au TNB de Rennes, à la Scène nationale de Quimper, au Théâtre de Morlaix et au CCF de N’Djamena. Des périodes de répétitions et de représentations sont prévues en 2009 et 2010. Anatomies 2008 engendrera donc Anatomies 2009 et Anatomies 2010.

Depuis le début de l’année 2007 j’ai écrit deux des pièces de cette trilogie. Au cours des deux ateliers danse-théâtre que j’ai dirigés en septembre, octobre et novembre à Brazzaville et à N’Djamena, j’ai proposé aux danseurs et aux acteurs des traversées, des dispositifs d’expérimentation qui m’ont permis de tester la structure de ces textes, leur rythme, leurs flux, leur logique dramatique et chorégraphique. Jouer à la frontière de la danse et du théâtre, jouer justement cette frontière, suscite chez moi et chez les interprètes beaucoup de désir. Le champ d’exploration du texte est du coup très ouvert la voix aussi danse, chante, psalmodie, murmure, profère…

Éric, tu étais ici en septembre dernier, c’est ici que nous nous sommes rencontrés. Nous avons eu ici des conversations vives, joyeuses. En décembre, j’ai retrouvé Orchy Nzaba et la compagnie Li Sangha dans votre Centre chorégraphique, à Caen, lors du festival Danse d’ailleurs. C’est pourquoi j’ai choisi de t’adresser la première des lettres de Brazzaville. Il y en aura plusieurs. J’en écrirai tout au long du processus de création.

Nous répétons pour l’instant dans le studio de danse du Centre culturel français André Malraux de 8H30 à 13h et de 18h à 21h. Comme d’habitude Yves Ollivier nous a accueillis avec chaleur. Il a mis à notre disposition plusieurs espaces. L’équipe d’interprètes est composée de la danseuse et des danseurs que tu connais : Princia Jéarbuth Hervienne Biyela, Nodary Christel Balossa Nganga, Rudolf Ulitch Ikoli N’kazi, Chanel Boungouandza Bibene ; d’une actrice française Flora Diguet, d’un acteur français Damien Gabriac. D’autres personnes m’accompagnent dans cette aventure. J’en parlerai lors d’une prochaine lettre.

Dès le premier jour, le mardi 4 mars, nous avons marché tous ensemble dans les rues de Bacongo, quartier sud de Brazzaville et visité quelques cours. Nous avons une petite idée derrière la tête.

Quelques jours avant de partir pour le Congo, comme je traversais la place Sainte-Anne à Rennes où plusieurs bouquinistes exposent des livres d’occasion, je suis tombé sur Le Livre du ça de Georg Groddeck. Une des toutes premières recherches que j’ai engagées il y a de nombreuses années portait sur les états du corps. Cette exploration était inspirée par les travaux de Jerzy Grotowski. Pour nourrir notre démarche, je m’étais appuyé sur Le Livre du ça de Georg Groddeck. Je viens d’en lire quelques passages aux interprètes d’Anatomies 2008.

En conclusion de cette lettre, en voici un :

« Je pense que l’homme est vécu par quelque chose d’inconnu. Il existe en lui un « Ça », une sorte de phénomène qui préside à tout ce qu’il fait et à tout ce qui lui arrive. La phrase « Je vis… » n’est vraie que conditionnellement ; elle n’exprime qu’une petite partie de cette vérité fondamentale : l’être humain est vécu par le Ça. Encore un mot. Nous ne connaissons de ce Ça que ce qui s’en trouve dans notre conscient. La plus grande partie – et de loin – est un domaine en principe inaccessible. Mais il nous est possible d’élargir les limites de notre conscient par la science et le travail et de pénétrer profondément dans l’inconscient quand nous nous résolvons non plus à « savoir », mais à « imaginer ». Hardi, mon beau docteur Faust ! le manteau est prêt pour l’envol ! En route pour l’inconscient… »

Amitiés à Héla et à toi,

Roland Fichet