Et les acteurs ? Au cœur du théâtre il y a l’acteur. Sur scène il a mangé l’auteur. Les créations Naissances ont été pendant 10 ans le lieu d’une émulation extraordinaire entre des acteurs (une cinquantaine) issus de compagnies et d’écoles variées : le Conservatoire de Paris, l’école de la Rue Blanche, (ENSATT), l’école de Rennes, l’école de Saint-Etienne, l’école de Charleville Mézières, l’école de Besançon… Et malgré ces formations constrastées il y avait un style Naissances, une « présence » Naissances, un rapport au spectateur Naissances. Nous continuons dans cette voie. Nous cherchons des acteurs contemporains, des présences inédites sur notre scène. Des acteurs qui apportent d’autres mondes, d’autres physiques, d’autres couleurs. En 2002 nous allons à leur rencontre en Afrique. Le groupe d’acteurs africains de la première résidence de création en Afrique, au Cameroun, a donné de la consistance à l’intuition qui me guidait vers les pièces d’identités.

Juin 2002. Le labo des acteurs. Défrichage 1. Tout le mois de juin. Africréa, Yaoundé, chez Mal Njam. Acteurs français. Annie Lucas, Monique Lucas, Jeanne François. Acteurs camerounais : Martin Ambara, Wakeu Fogaing, Dovie Kendo, France Ngo Mbock, Étienne Eben, Narcisse Ndongo, François Ébouélé, Sandrine Pouta, Rigobert Gacha, Nicaise Ngo Sii. Acteurs béninois : Florisse Adjanohoum, Kocou Yemadjé. Auteurs : Kouam Tawa, Roland Fichet. Metteur en scène : Annie Lucas. Les pérégrinations de 2001 et 2002 nous ont menés là, à Yaoundé quartier Bastos, dans un lieu en construction plus voué aux expositions d’art plastique qu’aux spectacles. Celui qui construit ce lieu, Mal Njam, veut ouvrir un centre culturel africain. Nous allons y passer un mois. Inaugurer ce nouveau geste en Afrique. Décoller de Saint-Brieuc et de la Bretagne. Cheminer vers l’intime ailleurs que chez soi, cheminer vers l’étrange de l’intime. Pour s’arracher ? Pour se libérer ? À peine constitué le groupe d’acteurs se lance, sous la direction d’Annie, dans l’exploration d’un vocabulaire théâtral vaste et construit : tresses gestuelles, rythmiques, sonores, sémantiques. Nous prenons un plaisir fou à tresser du geste, du son, du sens. Les trente textes courts que j’ai apportés sont lus, chantés, dépliés, déployés, pétris, sculptés, déconstruits, reconstruits et finalement mis en scène. Une pièce de Kouam Tawa, Sacrilèges, est mise en chantier. Avec méthode et précision, Annie (Lucas) conduit chacun vers une partition théâtrale nette, une composition raffinée et claire. Tirés par l’énergie joyeuse de locomotives telles que Wakeu Fogaing, Martin Ambara, France Ngo M’bock, Dovie Kendo, Florisse Adjanohou, Kocou Yemadjé, Jeanne François, Monique Lucas, les acteurs entrent dans le jeu avec souplesse, jubilation, talent. Plusieurs nous épatent par leur puissance. Charles Edouard (Fichet) arrive à temps pour donner un coup de main technique. La première représentation de ces petites pièces d’identités qui cherchent leur nom générique a lieu en Afrique le samedi 29 juin 2002 devant un public disponible, vivant, captivé. Une fête de théâtre. Poésie des corps et des mots dans ces espaces vierges. Les lampes font surgir un peuple de fantômes qui accompagne les acteurs. Racontez-moi encore des histoires, Kouam, Wakeu, Martin, France, Dovie, je commence juste à entrer dans la forêt de mon enfance.