Toujours pour les cahiers de Folle Pensée, je rédige à partir de mon journal flottant de petites notes sur les premiers gestes du labo des auteurs Folle Pensée où plutôt sur les gestes qui ont préfiguré le labo des auteurs et Pièces d’Identités. L’année 2002 est l’année charnière entre les créations Naissances et les créations Pièces d’Identités.

Février 2002. Alexandre et Marine arpentent les faces plus ou moins cachées des auteurs et des metteurs en scène des pièces de naissance. De temps en temps Alexis ou Laurent les accompagnent dans leurs tentatives de relevés biographiques, littéraires, théâtraux. Ils dessinent entretien après entretien la carte intime des créations Naissances (1993-2002).

Les entretiens de Marine, Alexandre, Alexis, Laurent : Michel Azama  (Paris, 23 février 2002), Rodrigo Garcia (Rennes, 12 janvier 2003), Roland Fichet (plusieurs itv en 2002), Paol Keineg (Quimerch, 14 août 2002), Philippe Minyana (Paris, 1er août 2002), Jean-Marie Piemme (Paris, 16 avril 2002), Noëlle Renaude (Paris, 14 juin 2002), Eléonore Weber (Paris, 14 février 2002), Julie Brochen (Paris, 18 mars 2002), Robert Cantarella (Paris, 13 février 2002), Frédéric Fisbach (Rennes, 4 avril 2003), Adel Hakim (Paris, 11 décembre 2002), Annie Lucas (plusieurs itv en 2002), Stanislas Nordey (Rennes, 6 novembre 2002), Jean-Michel Rabeux (Paris, 7 mars 2002), Jeanne François (plusieurs itv en 2002), Olivier Hussenet (Paris, 13 juin 2002), Monique Lucas (plusieurs itv en 2002), Anne Rotger (Paris, 22 avril 2002), Philippe Vieux (Paris, 9 juillet 2002), Charlie Windelschmidt (Saint Brieuc, 18 février 2002), Olivier Oudiou (Saint Brieuc, 25 septembre 2002), Yannick Noblet (Saint Brieuc, 28 août 2002), Maurice Srocynski (Saint Brieuc, 16 août 2002).

7, 8 et 9 février 2002, Saint-Brieuc. Chez moi. Alexandre, Marine, Patrice, Annie. Délier. Relier. Lier. Patrice parle de tous les liens qu’on peut créer entre les textes : les récits/pièces de naissance d’une part et les entretiens de l’autre. Nous rêvons des cartes, des circuits, des parcours. Les récits/pièces de naissance, les répétitions, les représentations, les variations formelles des spectacles (durées, espaces, dispositifs…) excitent notre désir de donner à saisir ce jeu de formes littéraires et théâtrales dans son ampleur et sa complexité (2660 représentations de pièces courtes en 10 ans). Nous avons sous les yeux tant de pièces et de morceaux ! Comment guider celui qui a envie de s’aventurer dans ce labyrinthe ?

23 février/4 mars 2002. Naissances : le geste final USA. Duke University. Acteurs : Jeanne François, Monique Lucas, Anne Rotger, Charlie Windelschmidt, Roland Fichet. Mise en scène : Annie Lucas. Sur le site du Théâtre de Folle Pensée, plusieurs pages présentent le spectacle et les workshops. Nous revenons dans cette université où nous avons déjà joué en 1997 L’apprentissage de Jean-Luc Lagarce interprété par Laurent Javaloyes. Nous avons partagé avec Laurent des errances, des fêtes, des voyages. Grand moment de joie et de théâtre à Duke en 1997. Tous les trois – Annie, Laurent, et moi – jouions aussi La déclaration, une pièce que j'ai écrite en 1996, inédite, une comédie qui croise la Déclaration des droits de l'homme et la genèse. Tu nous manques, ami, ton grain de folie a illuminé ces journées de 97 en Caroline du Nord. En 2002, le geste final des créations Naissances je l’ai vécu dans ce petit théâtre bourré à craquer sur le campus de Duke University. Incarnation de ce point final : la représentation mise en scène par Annie réunissant Vie et mort de Sabrina Green de Paol Keineg, Reconstitution de Philippe Minyana, Manège de Eléonore Weber et Massacre dans le Bronx, une de mes pièces courtes. Le grand moment de ces soirées : Vie et mort de Sabrina Green grâce à l’épaisseur sensible du texte de Paol et à l’interprétation bouleversante de Sabrina Green par Anne Rotger. Le public est très ému, Paol a les larmes aux yeux. Nous aussi. Ça valait le coup de marcher jusque-là.

15 au 26 mars 2002 . Bénin – Cotonou. Participation au Fitheb. (Festival international de Théâtre du Bénin). La bascule. Dans le même mois je passe des Etats-Unis à l’Afrique. Je passe aussi des pièces de Naissances à L’africaine. Première présentation publique de mes pièces aux Africains. Je commence par L’Africaine. Les premiers mots de L’Africaine : Je te veux. J’ajoute à cette pièce que j’ai écrite au mois d’août 2001 au pays basque deux pièces courtes : Question d’odeur et Fissures (Petites comédies rurales). Je prépare les lectures avec deux actrices et un acteur : Florisse Adjanohoun, Maguy Kalomba, Kocou Yemadjé. Lectures publiques le 20 et 21 mars au Centre Culturel français de Cotonou. Après les lectures, échanges agréables avec des acteurs, avec Adama Traoré, Ousmane Aledji, Michelle Robert (que je rencontre pour la première fois). Je cherche le détour pour décrocher des « Naissances ». Avec l’équipe de Folle Pensée nous avons tissé pendant dix ans une toile vaste, complexe de textes et de spectacles. J’imagine que cette architecture mobile (et trouée) va susciter de nouveaux désirs, générer des croissances, des déplacements, grâce à la toile justement, se déplier ailleurs. Quant à moi je dérive vers d’autres plages. Les ondes des Naissances continuent de se propager. Elles m’atteignent, m’encombrent. Je m’éloigne vers un endroit que je ne connais pas. Je veux repartir d’un endroit physique. Repartir de paysages. Je vais à la rencontre des paysages africains. Je me gave de paysages. Avec Pierre Ahoudjinou, je roule sur les routes et les pistes du Bénin. Je cherche une nouvelle machine à écrire. Les « Naissances » c’était une machine à écrire. J’ai compris en roulant ma bosse en août et septembre 2001 au Togo, au Bénin et au Cameroun, que j’avais faim de paysages, de peuples, de visages, de nourritures inhabituelles : manioc, macabo, bananes-plantin, ndole, nkui, noix de cola, arachides, rat, porc-épic, phacochère, singe, antilope, gazelle, civette, poulet bicyclette, vache, boa, vipère, poissons… Alougbine Dine m’emmène à Tog-Bin, un tout petit village de pêcheurs au bord de l’océan. Là, en pleine nature, il construit une salle. Une école. Alougbine Dine rêve de fonder à Tog-Bin une école de théâtre. Ça me plait. C’est de là peut-être que pourrait partir un nouveau geste d’écriture et de théâtre. Sur le toit du bâtiment en construction Dine me raconte son histoire de coq sacrifié d’un coup de dent au Gabon. Ousmane s’endort, son chapeau de cuir sur la poitrine. Les noix de coco fraîches de Tog-Bin sont succulentes. De jeunes garçons agiles grimpent le long des troncs des cocotiers pour les décrocher. Co-existence d’ondes anciennes et d’ondes nouvelles.