Depuis mon retour de Brazzaville, armé de mes carnets, je me lance dans des exercices de rétrovision : le chemin de l’Afrique, Terre Lointaine, le labo des auteurs. Début 2003, en même temps que se constitue le labo des auteurs au sein de la compagnie et que je prépare les ateliers de Cotonou, Ouagadougou, Niamey, Yaoundé et Batié, Annie Lucas et la quasi-totalité de l’équipe ont ouvert un autre passage vers l’Afrique : Terre lointaine de Paol Keineg. Dans la pièce la férocité de la colonisation nous est renvoyée en pleine gueule. Ça nous regarde. Juste avant de partir ça me regarde. Je me sens fragile. Qu’est-ce que je vais faire là-bas ?

16 et 17 avril 2003, Quimper, Théâtre de Cornouailles. Notes. Présentation publique des formes théâtrales issues du premier chantier initié par Annie (Lucas) à partir de la pièce de Paol Keineg : Terre Lointaine. Chantier excitant. Les metteurs en scène et les acteurs s’en sontdonnés cœur joie. La vidéo en direct pilotée par Charlie Windelschmidt : scènes spectaculaires. Remarquables les amygdales de Delphine Simon ! Casement et la cruauté. Prendre la pièce de Paol sous l’angle de la cruauté : bonne piste ! Au cœur de Terre Lointaine il y a la chair à vif, la chair infiniment sensible de l’individu décalé, en rupture intime. S’il se laissait aller il hurlerait de douleur. L’Afrique est présente dans la pièce de Paol Keineg. L’histoire de Sir Roger Casement passe par l’Afrique où se noue une part de son destin. (Et du nôtre !). Annie invente une suite aux protocoles de mise en scène que nous avons testés au cours des créations Naissances. Elle a raison. Il ne faut pas lâcher la recherche de modus operandi qui élargissent le champ des possibles, qui réinjectent de l’énergie dans les rapports. Depuis que nous déplaçons les règles du jeu de la mise en scène, en associant par exemple plusieurs metteurs en scène sur un même spectacle, nous déclenchons une certaine suspicion : Qu’est-ce que c’est que ça ? Le metteur en scène est un et indivisible c’est inscrit dans la tradition, ça ne doit pas bouger. Le théâtre est souvent réactionnaire. Le théâtre reproduit en toute bonne conscience les mêmes modes de production, les mêmes schémas. C’est un petit commerce bien rôdé. Michel Rostain apprécie l’esthétique et la vitalité de ces chantiers Terre lointaine. Il trouve beaucoup de force à cette conjonction de points de vue. Il faudrait pouvoir continuer avec toute cette équipe, dit-il. Ça fonctionne. C’est lui, Michel Rostain, qui a commandé cette pièce à Paol Keineg et c’est avec lui qu’Annie a construit au cours de l’année 2002 cette démarche de création qui se poursuivra en 2004. Je téléphone à Alex Broutard pour le convaincre de venir jeter un œil (les deux même si possible) sur le travail. Il refuse. Il n’aime pas la pièce. Il ne veut pas s’associer à cette production.