Depuis 2002 les petites pièces réunies sous le titre Fenêtres et Fantômes appelées aussi Petites histoires ou Petites pièces d’identité circulent au Cameroun, au Burkina-Faso, au Niger, au Bénin.Elles sont été mises en scène par l’équipe du Théâtre de Folle Pensée : Monique Lucas, Annie Lucas, Charline Grand, Mathieu Montanier et moi-même, mais aussi par Martin Ambara (Les Troubadours), Wakeu Fogaing (Compagnie Feugham), Dovie Kendo (Théâtre Maluki), France Ngo Mbock (Compagnie Diben), Kokou Yemadjé et Florisse Adjanohoun. Deux ateliers d’acteurs, un au CCF de Ouagadougou (Yves Ollivier) et l’autre au CCFN de Niamey (Laurent Clavel) se confrontent depuis 2003 à de nouvelles formes théâtrales et créent des spectacles vifs et percutants fondés sur ces pièces. Ces deux groupes d’acteurs ont fait de cette trentaine de pièces libres (détachées ?) leur matière de prédilection.

Ils ont mis sur pied, avec l’aide des deux directeurs de Centres Culturels — Laurent Clavel et Yves Ollivier — une sorte de laboratoire de pratique théâtrale avec lequel, de séjour en séjour, Monique Lucas et moi-même entretenons un dialogue concret. Joués au Burkina-Faso, au Niger, au Bénin, au Cameroun en 2003, 2004 et 2005, dans des lieux divers — centres culturels, festivals, lycées, cours, cafés dits maquis — les spectacles Fenêtres et Fantômes, ont ouvert des perspectives à une bonne cinquantaine d’acteurs. Leur représentation du théâtre a explosé ainsi que l’idée qu’ils se faisaient de l’acteur. Certaines et certains ont pris au cours du voyage Pièces d’Identités et Fenêtres et Fantômes une épaisseur remarquable, sont devenus des actrices et des acteurs d’une grande intensité. Monique Lucas œuvre pour que le cheminement que nous avons imaginé s’inscrive dans la durée, se poursuive avec rigueur et beauté. Après avoir travaillé avec l’équipe d’actrices et d’acteurs de Dovie Kendo à Douala une bonne partie du mois d’octobre 2003, elle est repartie en octobre et novembre 2004 et mars-avril 2005 au Burkina-Faso et au Niger. Le 9 décembre 2004, au CCF de Douala que dirige Nadia Derrar, Frédéric Fisbach, moi-même et toute l’équipe d’Animal avons vu avec un grand plaisir le spectacle mis en scène par Dovie et Monique. Je me souviens aussi de la joie d’Olivier Poivre d’Arvor, d’Yves Ollivier et de Laurent Clavel après la représentation de Fenêtres et Fantômes au CCF de Ouagadougou le 29 octobre 2003. Olivier Poivre d’Arvor m’a appelé à Saint-Brieuc à 1 heure du matin et derrière leurs voix, j’entendais une sacrée ambiance dans la cafétaria du Centre, cette cafétaria fraternelle où j’ai bu tant de bières et où se croisent tous ceux qui, à Ouaga, se frottent au théâtre, à la danse, au cinéma, aux arts plastiques, à la culture… C’est dans cette cafétaria que j’ai rencontré pour la première fois, en mai 2003 Ali Diallo, Amadou Bouro, Alain Hema, Hildevert Meda, Ousmane Boundaoné, l’administrateur de la compagnie de danse Salia nï Seydou.

Beau boulot de Monique qui depuis des années creuse la question de l’entraînement de l’acteur et de l’articulation corps/voix/texte. Elle connaît intimement, physiquement pourrait-on dire, des textes comme Pare-choc, Le Petit Rembrandt, Attention au chien, Fesses maigres, En trop, Libérateur, La revenante, Bâtons, La 404 rouge, Culture… Pour chacun de ces textes, elle compose avec les acteurs une partition rythmique, sonore, gestuelle qu’elle noue étroitement au déploiement du sens, des sens … Les spectacles construits dans des cadres, des espaces, des rapports choisis, exposent et explorent des figures stylistiques, des trajets, des discontinuités, des enchaînements qui, de corps en corps, de voix en voix, font entendre un peu du murmure intime du monde. La jubilation des acteurs dans ces spectacles ! Avec plusieurs d’entre eux notre amitié s’est constituée dans ce geste partagé : inventer du théâtre. Certains se sont appropriés tel ou tel texte et le joue au hasard des occasions toute l’année. Ces petites pièces sans cesse remises en chantier en 2002, 2003, 2004, 2005 sont devenues un bien commun.

En 2005, Charline Grand et Bénédicte Jolys, deux piliers de la tournée de 2004, ont rejoint le Niger et en particulier Agadez, ville chère aux costarmoricains. Elles ont retrouvé au Niger Alfred Dogbé et une solide équipe d’acteurs. Je vous salue au passage amis et compagnons : Adama (Akili), Fatima (Ouedraogo), Augusta (Palenfo), Kocou (Yemadjé), Béto (Oumarou Aboubakari), Eric (Affoukou). Avec vous, Adama, Fatima, Kocou nous avons fait l’an dernier une tournée de 7000 km en Afrique de l’Ouest… Un vrai voyage vers l’infiniment singulier, vers l’étrange, vers le mystère du théâtre, vers le poème.

Alfred Dogbé. Alfred, tu m’as accueilli à Niamey le 7 mai 2003. Ces cinq premiers jours d’atelier (20 acteurs), de rencontres, de discussions vécus ensemble et menés tambour battant avec la complicité active de Laurent Clavel et de Sylvie Guellé ont fondé un acte et un projet. Cet acte et ce projet se sont développés en Bretagne et ensuite en Afrique de décembre 2003 à avril 2004. Tu as écrit À l'étroit, une pièce d’identité poignante que Charline a mise en scène avec finesse à Saint-Brieuc — bel espace rouge de Bénédicte — et que nous avons jouée tout au long de ces mois de tournée. Cette année, Charline et Bénédicte t’ont demandé d’écrire la suite de À l'étroit, d’écrire le deuxième volet de cette histoire de partage des corps. Tu donnes toujours le sentiment d’être immergé (noyé ?) dans une multitude de textes en cours, de mises en scène, de voyages… pourtant tu l’as écrite cette deuxième partie de À l'étroit. Et hop c’est reparti pour un tour. Une nouvelle fois, en 2005, on a entendu au Niger et au Burkina Faso la voix déchirée d’Alfred Dogbé, on a vu sur les planches les acteurs nigériens, burkinabés, béninois des spectacles et des ateliers Pièces d’Identités. Le 8 avril, j’ai vu surgir au Théâtre National de la Colline Charline et Bénédicte, maigres et africaines, encore incertaines d’être réellement en France. Deux fantômes presque. Après la représentation d’Animal, dans la cafétaria du Théâtre de la Colline la fête sensible d’une communauté invisible dont une partie des membres se retrouvent : Wakeu, Martin, Ese, Mathieu, Kouam, Charline, Bénédicte, Gianni.

Le 8 avril les points de vue sur Animal, À l'étroit, Pièces d'identités se croisent sur les banquettes de la Colline. À Ouaga, Monique continue de mettre en scène avec la troupe d’acteurs burkinabé et nigériens les apparitions de Fenêtres et Fantômes. Le 14 avril il y aura une nouvelle représentation de Fenêtres et fantômes au Burkina Faso.