(D’après un entretien réalisé le 17 février 2003, propos recueillis par Marine Bachelot, Alexandre Koutchevsky et Laurent Quinton.)


La lecture de La Chute de l’ange rebelle s’est faite le 7 avril 1990, au Jardin d’Hiver, au centre dramatique Théâtre Ouvert chez Micheline et Lucien Attoun. Ils avaient organisé ce jour-là la lecture de trois ou quatre œuvres qu’ils avaient choisies, dont La Chute de l’ange rebelle. Le projet de mise en scène de ce texte à l’Odéon par Claudia Stavisky avec Valérie Dréville était déjà dans l’air. Valérie a tout de suite accepté de faire cette première lecture publique.

Nous avons préparé ensemble cette lecture, Valérie et moi. Valérie jouait, à cette époque-là, à la Comédie Française. Nous avons, je crois, commencé à ausculter La Chute de l’ange rebelle dans sa loge, à la Comédie Française. On a lu, on a essayé de voir comment le texte s’entendait. Je lui ai fait part de mes perceptions du rythme des phrases, de leur enchaînement, des endroits où il faut s’arrêter et de ceux où il ne le faut pas. En même temps, comme toujours dans ces cas-là, j’étais extrêmement attentif à ce qui est amené par la voix de l’autre et qui introduit tout à coup des rythmes nouveaux.

Nous avions le souci de donner à entendre, de garder de la lumière, de faire sentir la jubilation particulière qui traverse ce qui est dit et celui qui le dit. Avec, évidemment, les effets de contraste, les effets de rythme qui sont sensibles dans le texte, notamment dans les passages où il y a cette espèce de voix intérieure. Déjà, ce qui m’intéressait beaucoup, c’était le rapport entre le fait de tenter de parler pour quelqu’un et le fait de parler pour soi. Le tout en gardant la simplicité comme ligne de conduite, car je voulais vraiment que ce soit une lecture — c’est ça qui nous était commandé.

Théâtre Ouvert est un théâtre rond et petit, quand tu es sur scène, tu es vraiment devant le public, tu es très proche de lui. Le jour de la lecture, il y avait pas mal de monde. Valérie était debout avec le livre à la main, et elle lisait le texte, c’est tout. Elle le savait en partie par cœur, et elle était très à l’aise avec le texte, très belle, même si elle avait énormément le trac. La lecture dura à peu près une heure. C’était extraordinaire, les gens — les Attoun au premier chef — étaient enthousiastes.

La lecture de Valérie produisait une présence du personnage, de celui qui parle, un homme a priori pourtant, qui par sa vitalité rythmique, par la façon dont il parle, manifeste son rapport à la vie, défend la vie. C’est un élément décisif dans la chimie particulière de La Chute de l’ange rebelle : la gravité du sujet traité — le fait que le personnage perde pied peu à peu — ne parvient jamais à étouffer la jubilation, l’enfance de la langue. Il y a dans ce texte — c’est ce que m’a révélé la lecture de Valérie — une grande vitalité dans la façon de jouer la langue, mais ce n’est pas une vitalité volontariste, ce ne sont pas non plus des effets de vitalité. C’est une vitalité — comme ça. La lecture de Valérie réussissait à faire sentir cet élan pour libérer un peu de vie.

D’autre part, cette lecture, la manière qu’avait Valérie de lire et de ressentir donnait à entendre qu’il y a un rapport entre ce qui est dit et ce qui ne l’est pas. Les silences, les trous, les espaces entre les séquences donnaient à voir un endroit où flotte l’inconscient. Valérie Dréville a offert un inconscient à mon ange rebelle. C’est le plus beau cadeau qu’elle pouvait lui faire. Dès le premier moment, dès les premiers mots, elle a fait flotter un inconscient autour de chaque phrase, de chaque séquence de ce texte. C’est un pouvoir qu’elle a. Elle ouvre. Est-ce tragique ? Est-ce comique ? La question ne se pose plus, c’est au-delà.