Couverture de la revue Les Cahiers de Prospero 5

(Article écrit par Roland Fichet, publié dans Prospero N°5, Traces, Juillet 1995, au sujet de « Chimères et autres bestioles » de Didier-Georges Gabily, mise en lecture par Janine Godinas, au Théâtre Varia à Bruxelles, le 10 décembre 1994.)


Ouvrir les yeux dans le noir de la langues (surtout à cette garce on ne peut faire confiance !). Gabily la secoue la langue, la retourne sans cesse, c'est un laboureur. La pièce avance dans la langue, remuée par elle.
Le goût du complexe, du savant. La vendange des mots.
Le plaisir des détails et des mots qui les nomment ("tente de faire avaler une soupe en sachet - poireaux-pomme de terre - qu'elle vient de préparer dans une soupière de vieux Limoges").
Des didascalies comme l'enveloppe romanesque de la pièce. Le dialogue roman théâtre.
Des pans de théâtre (plus ou moins écroulés), des chemins de théâtre (où mènent-ils ?).
L'homme toujours dans les parages du divin. A sa recherche. Abandonné. Inconsolable.
Des fantômes de héros (ailleurs, de dieux).
Des émérites soldats de notre imaginaire collectif en bout de course. 'épuisement de Don Juan (avant de le jeter ?). Il s'épuise. Il pourrit du membre, il pourrit par le membre.
Le Servant - Les marionnettes.
Le bestiaire aussi. La chèvre (un personnage, une femme, la "bonne laitière") le lapin, des chiens aux yeux rouges, des oiseaux...
Le Moyen Age derrière ; les gargouilles ; les cathédrales.
Des traces de scènes anciennes. On parle de soupe.
Le dérisoire obsédant des tragédies humaines. Insistantes. Tristesse.
Les petites comédies sur l'autre versant.
La douceur qui dans tout ça se fraye un chemin (La Gamine, d'autres).
Un champ de ruines avec de petits bonheurs dans les coins.
Autour du sexe de la fille, de la mère, autour du sexe, autour du sein, autour du vente ; autour du bébé, tourner autour de ça avec la langue. Naissance pour finir (ouvrir ?).
Curiosité : la première didascalie de Chimères et autres bestioles entre en correspondance précise avec le décor de Matthias Langhoff pour Philoctète d'Heiner Müller.

MAÎTRE.- Le monde est torve, toujours pareil, toujours pris, insensé, mais toi, je te tiens, et je ne te lâche pas avant que tu m'aies dit le premier nom.
D.-G. Gabily, Chimères et autres bestioles.

Devant le Sphinge, il faut savoir répondre ou mourir. A la présence d'esprit s'oppose l'esprit de l'escalier. Comment répondre à l'énigme et, en quelque sort, lui retourner le miroir ? En ayant le temps du retour pour chaque mot qui est sur le bout de la langue devenu bout de papier : c'est écrire. Ecrire, c'est prendre le temps du perdu, prendre le temps du retour, s'associer au retour du perdu. (...)
Pascal Quignard, Le nom sur le bout de la langue.